INTERVIEW

Chilla : "C’est dans l’adversité que l’on se découvre."

Publié le

20 septembre 2024

Avec maturité et sérénité, Chilla sort, ce vendredi, son troisième album baptisé 333. Un nombre significatif pour l’artiste franco-malgache, tout juste trentenaire, qui réaligne sa créativité, son écriture et sa passion de la musique dans un nouveau cycle privé et artistique porteur. Avec des mots sincères et remplis de nuances, la rappeuse dévoile son travail de lâcher-prise personnel et amoureux dans cet opus. Une pépite émotionnelle profonde et intense aux sonorités dansantes, proche de l'âme, qui renferme deux featurings avec Kobo et Disiz.

Chilla ©Chloé Rose

Chilla, vous sortez votre nouvel album 333 aujourd'hui. Que représente-t-il pour vous ?

C’est un peu l’album du lâcher-prise. Même si j’évoque des sujets intenses et denses émotionnellement comme la rupture, l’introspection, la réciprocité ou non. Cette réalisation intervient après un travail de deuil. Le moment où je l’ai écris, c’est quand le deuil était fait. C’est là où je fais le lien avec le lâcher-prise parce que je ne l’ai pas fait à vif, aussi bien dans mes ressentis que dans mes émotions. Je l’ai fait comme un point, une synthèse et un état des lieux de tout ce que j’avais traversé. Avoir la chance de prendre du recul m’a permis d’acter, avec ce projet, la fin d’un cycle pour en commencer un nouveau. Musicalement, c’est vraiment un album transitoire.

Le nombre "333" est couramment interprété comme un message des anges vers l’univers ou comme une période d’effervescence créative. C’était l’idée ?

Oui, complètement. Je ne trouvais pas de nom à l’album et comme je n’avais pas les mots, je me suis dit que j’allais mettre des chiffres ! [Rires] C’est mon 3e album, je sortais d’une relation de 3 ans et j’avais mis 3 ans à écrire l’album précédent. Le "3" revenait beaucoup et c’est vrai qu’il y a cette idée d’anges. Dans mon deuxième album, j’étais plus à vif, j’avais besoin de récupérer le contrôle parce que j’avais l’impression de ne rien maîtriser. Alors que dans ce projet, je me réaligne avec ma créativité, mon écriture, ma plume et je suis dans ce besoin de créer pour me faire kiffer, et non pas pour essayer de prouver quoique ce soit à qui que ce soit, d’impressionner ou de montrer que je sais tout faire. La dynamique du projet précédent avait été fait davantage dans la douleur, juste après le Covid. C’était beaucoup plus lourd. Pendant six ans, je n’avais pas pris de vacances, j’étais toujours en tournée, et même si je prenais toujours du plaisir, tout devenait machinal. La passion est devenue mon métier donc je n’agissais plus comme une passionnée mais comme une artiste qui travaille. J’ai eu la chance de partir deux semaines à Madagascar — mon père est malgache et m’a transmis la passion de la musique — pour l’ultime date de concert, avant de faire un an de pause. Ces deux semaines de vacances m’ont reconnecté à la vie, aux gens et à moi. Ça m’a permis de faire le point sur mes émotions et d’avoir envie de nouveau d’aller en studio juste pour me faire plaisir. Donc j’ai trouvé un lien avec 333 dans cette idée que c’est la fin d’un cycle, le début d’un nouveau et d’un point de vue créatif, ma façon d’aborder l’écriture. Il y a eu quelque chose de beaucoup plus léger.

"J’ai évolué pour me rapprocher de ce que je suis."

Sur la couverture de votre album, vous apparaissez dans un décor nocturne, simple et sans chichis, avec un véritable contraste d’ombre et de lumière. Elle traduit l’esprit de votre musique ?

Pour les cover, c’est fou, j’ai toujours essayé de contrôler mon image mais finalement, je n’ai jamais vraiment rien calculé du tout. J’étais allée à une exposition photo où j’avais vu ce type d’image et je trouvais beau de voir la lumière sur le visage dans la pénombre. Le noir et blanc est justifié parce qu’il y a quelque chose de l’ordre du passé. J’avais cette envie de me montrer, moi, sans artifices. Sur la pochette précédente, j’étais très maquillée, il y avait des coupes assez originales, de même pour le projet d’avant encore. Sur cette couverture, c’est un retour à la simplicité. Ce sont mes cousines qui ont pris cette image avec un appareil argentique avec le flash dans la nuit, à Madagascar. Et ciao ! Je ne voulais pas me prendre la tête sur une cover alors que j’ai fait exprès de revenir à quelque chose de plus authentique et de spontanée dans l’image, l’écriture et la façon d’aborder la musique. Je ne voulais pas me prendre la tête à essayer d’être fraîche ou hype. Je voulais, un moment donné, avoir une image assez léchée mais je crois que je suis trop simple dans mon quotidien pour réussir à conserver ce type de personnage. J’ai évolué pour me rapprocher de ce que je suis.

333

Dans le titre "L.A.", vous dites : "Quelle époque de merde. Je regrette la naïveté de ma jeunesse. Demain sera plus dur que la veille". Vous avez à peine 30 ans mais on a l’impression que c’est un sentiment nostalgique partagé par beaucoup de Millenials aujourd’hui. C’est votre ressenti ?

Oui complètement. Pourtant ma musique se veut optimiste parce que c’est à travers elle que j’essaie de me rassurer moi-même. [Rires] Je crois que j’ai un fond un peu sceptique. Quand je constate tout ce qui se passe autour de moi : l’évolution de la société, le monde dans lequel on vit, le rapport entre les gens, l’implication des réseaux, et ce rapport distancié même si on a l’impression d’être super proches parce qu’on a accès à toute la vie des autres... Il y a une superficialité qui s’instaure dans les liens de façon générale. Plus je vieillis, plus j’ai conscience de l’atmosphère dans laquelle j’évolue. J’ai vécu le deuil de mon père à 14 ans. Plus j’avance, plus je sais que je vais perdre des gens et plus les complications, autour de moi, vont m’impacter. Pourtant, je suis assez sereine sur la façon dont je vais aborder la suite de ma vie car je pense avoir le bon état d’esprit, je suis bien entourée, j’ai la chance d’avoir une bonne hygiène de vie, même si on n’est jamais à l’abri de rien. Et ça, je l’ai toujours en tête.

"Être passée par des choses compliquées très jeune m’a permis d’avoir les épaules pour encaisser les coups durs sans m’effondrer."

Vous pensez qu’en grandissant, on passe forcément par une phase de désenchantement ? C’est une sorte de : "C’était mieux avant" ?

Alors non. Pour moi, là où c’était mieux avant, c’est côté naïveté, et le fait que je ne me rendais pas compte de tout ce qui m’attendait. [Rires] Et en même temps, je m’en rends compte jeune avec ce qui m’est arrivée. Comme beaucoup de gens, j’ai eu la malchance et la chance de vivre des drames tôt. Je parle de "chance" parce qu’être passée par des choses compliquées très jeune m’a permis d’avoir les épaules pour encaisser les coups durs sans m’effondrer. Je prends conscience qu’autour de moi, les personnes qui n’ont jamais vécu de deuil, de déception ou de rupture ont beaucoup plus de mal à gérer. Ça arrive sur le tard et il se sont construits de façon très sereine. Ils se confrontent à la violence du monde et de la vie.

Chilla ©Chloé Rose

L’album est décrit comme très introspectif. Il renferme des musiques au titre évocateur : "Sombre", "Dos à dos", "A l’envers", "Le goût de la solitude" et des thématiques universelles comme la rupture amoureuse. C’était une thérapie pour remettre le compteur du cœur à 0 ?

Je dirais que la thérapie a eu lieu en amont de l’album. Plus je rencontre des gens, plus je me rends compte que l’on n’a pas tous la même capacité émotionnelle à appréhender des situations. Autant j’ai sûrement plein de défaut, mais je suis heureuse d’être alignée avec ma santé mentale. Je ne suis pas en détresse émotionnelle. Cet album est un état des lieux de ce travail réalisé seule. J’ai été suivie très jeune et j’ai des réflexes instaurés en moi. Je n’ai pas eu à aller voir quelqu’un pour faire le deuil et traverser toutes les étapes à faire. L’album parle de mon parcours pour arriver à ce lâcher-prise, la façon d’être objective sur les parts de responsabilité car, dans une relation, on est deux. Avec cet album, j’ai davantage accepté la personne que je suis, et c’est ok.

Des titres profonds mais des sonorités pourtant très dansantes. C’est cette antinomie qui permet de dédramatiser ce type d’émotions/ de déceptions fortes ?

Oui, c’est la chose la plus compliquée à faire en musique pour moi. Je me suis posée la question longtemps pour éviter de faire du ton sur ton. C’était ma hantise, je voulais un contraste. Quand on me mettait une instrumentale mélancolique, je voulais parler de choses mélancoliques… De même, pour une instru joyeuse, je vivais le moment mais je n’avais alors pas besoin d’en parler. J’ai besoin de parler des choses qui me touchent et me détruisent de l’intérieur. En ayant pris de la distance, j’ai pu aborder des sujets de façon plus légère et détendue. J’ai pu ramener de la lumière musicale parce que le deuil est fait. Ça rejoint l’esprit de la couverture.

"C’est dans l’adversité que l’on se découvre."

Sur cet album, vous avez deux feats avec Kobo sur "J’attends trop de toi" et Disiz avec "Petit cœur". Disiz avait sorti un album L’Amour en 2022, où, lui-même, fait tout un travail personnel pour poser des mots sur ses histoires d’amour mais aussi ses erreurs, entre autres. C’est un projet qui lui a parlé tout de suite ?

Plusieurs albums et artistes m’ont inspiré : Disiz, Luidji, Tuerie, sans parler des américains Lucky Daye, Masego, Frank Ocean. Disiz est un artiste dans lequel je me retrouve depuis des années parce qu’il est métis et qu’il a toujours été hyper éclectique dans ses propositions musicales. On n’a jamais trop su à quel style il appartenait, dans quelle case le mettre. Des fois, il a beaucoup de succès, après on ne le voit plus comme s’il était porté disparu ! Malgré le fait que nous ayons 15 ans d’écart, je me suis toujours dit que j’avais pour objectif de faire un album comme L’Amour, par exemple qui, pour moi, est un projet intemporel. C’est quelque chose que je n’intellectualisais pas avant, dans ma musique. Je faisais les choses de façon spontanée et sur cet album, j’avais besoin de retrouver de l’organique pour l’écouter dans dix ans et me dire que c’est toujours audible. J’ai rencontré Disiz sur un tournage, je lui ai fait écouter mes sons en lui parlant de mes ambitions pour le projet. Il a été très transparent, lorsqu’il adorait ou qu’il me disait que je devrais aller plus loin et éviter la fainéantise sur certains lyrics… ! Il m’a bien aidé dans le processus et il a eu un coup de cœur sur le morceau "Petit cœur" que j’ai écrit huit mois auparavant. Il a posé dessus en juin. On ne s’attend pas forcément à cette collaboration et quand on l’écoute, elle prend tout son sens. Le fait qu’il ramène son prisme musical, c’est super. J’ai toujours rêvé de collaborer avec lui et ça s’est fait de façon très fluide et naturelle. Je ne pouvais pas espérer mieux.

Chilla ©Chloé Rose

Si vous deviez donner un conseil à celles et ceux qui connaissent une période de trouble amoureux, que leur diriez-vous ?

Ce qui m’a aidé, c’est de faire des colonnes avec les "Pour" et les "Contre". [Rires] Le fait de matérialiser les raisons pour lesquelles tu restes et pour lesquelles tu pars. Est-ce que c’est une décision prise ou subie ? C’est difficile car cela dépend des caractères et la nuance est hyper importante. Personnellement, j’ai pris conscience que des personnes appartiennent à des cycles de ta vie, ou à un moment qui sont déterminants dans cette période. Même si on a l’impression que les évènements sont insurmontables émotionnellement, il faut réussir à se rappeler de toutes les fois où on a cru que c’était insurmontable alors que ça paraît anecdotique avec le recul. Plus tu sais que tu as réussi à surmonter des moments difficiles, plus ça te rassure dans ta capacité à appréhender les suivants. Si on n’a pas l’habitude de surmonter des épreuves, il faut se dire que la vie n’a jamais fait la promesse de ne faire passer que des moments de bonheur. Ça n’existe pas. C’est un ascenseur émotionnel constant. Les moments de bonheur et de joie, d’après moi, sont beaucoup plus rares que l’adversité. C’est dans l’adversité que l’on se découvre, que l’on jauge notre caractère, que l’on s’impose une discipline aussi bien dans l’hygiène de vie, que dans l’hygiène relationnelle. C’est grâce aux doutes et aux ruptures que l’on est soumis à rebondir parce qu’il y a de la vie derrière. On s’en rend compte quand le courage est dans les chaussettes, puis qu’il remonte dans les poches et ensuit dans la tête !

Que faut-il esquiver dans la musique ?

Il faut esquiver un entourage nocif. Pour moi, les carrières musicales sont à l’image de la vie : s’entourer de gens bienveillants et dans la réciprocité, qui est l’essence même de tout dans les relations et dans le travail. Il faut esquiver les relations à sens unique et une mauvaise hygiène de vie. Ma batterie sociale ne s’en sortirait pas si j’étais quelqu’un qui se nuit.

Chilla ©Chloé Rose

Vous serez à La Maroquinerie les 2 et 3 novembre prochains. Que préparez-vous pour votre public ?

Pour la première fois, je vais proposer un nouveau show en termes de formation. Ça faisait six/sept ans que j’étais avec mon DJ et mon pianiste, et là je serai uniquement avec des musiciens sur scène. Je vais proposer quelque chose de plus proche de la réinterprétation de mes titres qu’auparavant. Une fois de plus, retour à l’authenticité et à quelque chose de plus proche de l’âme.

"333" de Chilla disponible dès aujourd’hui.

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