MUSIQUE

Avicii, dit “I’m Tim” : le documentaire dont vous êtes le héros

Publié le

24 janvier 2025

Avicii, s’il y a bien un nom à retenir des années 2000, c’est celui-ci. Un gamin de 22 ans qui a soulevé la planète avec un sample légendaire : “Ohoh Sometimes”. Un DJ qui a créé des titres fondateurs comme “Levels”, “Wake me Up” ou “Hey Brother”… Sa musique, c’est le beat de l’espoir du nouveau siècle. C’est le pouls de la liberté comme on la recherche parfois toute sa vie. C’est la pulsation qui vous réveille pour vous dire : “Je veux créer quelque chose d’intemporel”. Mais, qu’en est-il de sa vie ? Le documentaire Netflix sobrement intitulé I’m Tim retrace à la première personne le parcours spectaculaire du Suédois. Une nécromancie cathartique dans laquelle l’artiste prend une forme de spectre pour vous murmurer le poids de vos responsabilités. Car, l’histoire ne le dit pas, mais le responsable de cet homicide : c’est vous.

Mondialité et intimité

La dernière super production de Netflix prend le parti pris d’une narration à la première personne. Un choix qui reste toujours singulier dans le cas d’un hommage. Une direction qui a convaincu le public, avec une solide moyenne de 7,4/10 selon SensCritique, et de 4/5 sur AlloCiné. Un avis populaire comme les stigmates amoureux d’une génération qui a grandi avec les musiques du Suédois. Côté presse, on aime les archives intimes. Mais entre la subjectivité fanatique et le regard avide des journalistes, il y a sans doute un niveau de lecture plus éveillé !

Dans la première partie du documentaire, Avicii devient une superstar au côté d’Arash (Ash) Pournouri, son co-producteur et co-créateur, qui l’a repéré sur la Toile. Une montée fulgurante comme il est rare de la voir. L’erreur dans la matrice : un néo nouveau qui les réunira tous. Sauf que toutes les semaines, l'industrie musicale nous sert la même disquette. Côté empathie, rien de très impliquant. Vous progressez avec des images de plus en plus hors-normes jusqu’à “Levels”. Changement brutal d’ambiance ! Vous découvrez un Tim Bergling fragile, sensible, innocent, qui se rappelle les embruns des côtes suédoises. Ses proches le décrivent comme un enfant comme les autres. Un adolescent qui travaille jour et nuit pour trouver les bonnes mélodies. Un jeune artiste comme les autres qui se nourrissait de pâtes et de nouilles tant la musique l'absorbe. Le problème, c’est que Netflix avait besoin de justifier la suite du documentaire. A l’entrée dans le deuxième tiers de l’histoire, il faut rendre le personnage plus humain que l’artiste. Lui faire arborer un masque (un visage pardon !) plus accessible, pour expliquer l’engrenage qui le conduira à sa fin. Sur le papier, c’est compréhensible ; dans les faits, c’est malheureusement trop forcé sur les traits.

Cependant, il est plus appréciable d’avoir ces images d’archives. Pour la raison évidente que nous aimons les personnes qui nous ressemblent. Là où la première partie nous sert du fanatisme, la deuxième nous conduit à du palpable. Ça donne de jolis temps suspendus, comme Tim et son père qui dansent dans le salon. Un beau moment de vie, parce qu’il est vrai. En toute évidence, l’intérêt de ce film réside dans ces images. Qu’elles soient prises directement des caméscopes intimes d’Avicii donne un grain incomparable. Elles épaississent les contours d’une image industrielle comme la musique sait en créer. Seulement, les frottements avec le réel vont enlèvent le vernis. A partir du moment où le réalisateur tente d’aborder sa “détresse psychologique”, une série de maladresses floute les frontières entre l’hommage et l'appât du gain. Mais surtout, le reste du film vous exclut de l’histoire. Pourtant, vous en faites partie intégrante…

Dessine-moi une chanson

Durant les interviews, Per Sundin, PDG d’Universal en Suède, avouera pleinement sa cupidité concernant les créations du musicien. Il évoque “cette vision de merde” qui pollue tant l’industrie, que les personnes qui entourent Tim à ce moment-là. Ceux qui gravitent autour de l’artiste y voient un investissement profitable. Il devra alors dessiner des chansons avec de plus en plus d’exigences, et répondre présent à des concerts qui l'emmène en tournée du lundi au dimanche à travers le monde. Une image clichée de l’industrie musicale qui montre une réalité systémique d’un engrenage destructeur.

Dans ce même reportage, vous verrez une scène surréaliste qui va donner toutes les raisons de le regarder. Celle où des dizaines de milliers de personnes huent Avicii et tous ses invités, parce qu’elles n’ont pas ce qu’elles veulent. Une foule en colère de voir un musicien qui tente d’esquiver les rouages pour s'approprier son art. Un parterre d'empereurs mégalos qui vivent par procuration dans les œuvres profondément intimes d’un jeune homme qui veut retrouver une vie heureuse. Le public semble tout autant responsable de la descente, marche par marche, d’Avicii. Un événement qui sera la première étape dans sa longue descente funeste. L’artiste explique, dans le film, qu’il aboutit à ne “plus aimer faire de la musique”, “à ne plus aimer ce qu’il est”... et “à regretter ses choix de vie”. Des clous que le public va enfoncer, album après album. A travers le monde, le premier projet True sera certifié 27 fois Platine, le deuxième 7 fois Platine, et le dernier 4 fois Or. Cette différence abyssale entre les propositions marque l’homme et la popstar. Pour comprendre la fin de l’histoire, vous devez aller au-delà du mur de clichés.

Un monstre en moi comme Eren

Le titan colossal abattu se relève dans la rage. Son père dira son désarmement au croisement du regard de son fils. Un mélange de tristesse et de sentiment d’échec devant la colère de son petit garçon. Un moment fulgurant de sublime. Le jeune adulte en devenir se détestait de devenir moins qu’un être humain, puisqu’il avait horreur d’être "un truc qui n’était pas lui". Plus encore, il haïssait sa faiblesse d’avoir accepté de se transformer pour de l’argent. Plus profondément encore, c’est une rancœur amère d’avoir croisé le chemin de Ash qui va aboutir à rompre le partenariat un temps. Le feu de ses 18 ans, voilà ce qu’il voulait revivre. Une époque où la musique comptait. Un équilibre fragile entre famille et public.

Son label et co-producteur diront qu’ils ont tout fait pour l’aider. Le public ne comprendra pas. Vous verrez qu’il est manifeste, dans le film, que la voie qu’on a imposé à Tim était à sens unique. Avec ce constat comment auriez-vous réagit ?

L’héritage de Tim

Filip "Philgood" Akesson, ami d’enfance avec qui Avicii a commencé la musique, explique avachi sur le canapé, qu’il ne comprend pas ce qui s’est passé. Ash s’effondre sur son bureau en off. Les fans achètent en masse les albums en hommage, sans vraiment saisir le sens du geste de leur star. Auprès du média Le Parisien, David Guetta confie que le départ d’Avicii a réquisitionné toute l’industrie musicale et le rapport qu’il fallait avoir avec le public. Au Tomorrowland 2024, le DJ français a rendu un hommage à son ami, avec une grande émotion visible, devant un festival en larme.

L’héritage d’Avicii dans la musique est, au final, égal à n’importe quel artiste qui a eu du succès dans une génération. Il a touché les Millenials qui, devenu trentenaires, continuent de revivre leur jeunesse avec bonheur dans "Hey Brother". La philosophie de Tim est en revanche une leçon de vie qu’on se prend en pleine gueule bien après sa mort. Le coup est porté par trois fois avec les singles "SOS", "Tough Love" et "Heaven". Un triptyque parfait en tout point qui démontre toute l’ampleur de l’héritage d’une personne enfin libérée de ses chaînes. Un album autrement plus passionnant à écouter que ses autres propositions. Le dernier chapitre magistral d’une histoire, que Netflix semble pourtant vouloir faire oublier à la conscience collective en ne l’évoquant tout simplement pas. "Une musique intemporelle, c’est ce que je veux faire". Un rêve qu’il a su atteindre avec l’album Tim. Nous sommes à présent les héros de cet héritage. A nous maintenant de faire perdurer le songe en s’étonnant toujours de la musique de Tim.

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