CINÉMA
Publié le
17 juin 2023
Qu’est-ce qu’un héros ? Qu’est-ce qu’il faut faire pour le devenir ? Est-ce qu’il est possible de l’être ? Est-ce qu’il est nécessaire d’en avoir ? L’héroïsme est un acte autant applaudi que parfois condamné. Il est ce geste qu’on brode à son regard de l’instant. Elle est cette intention qu’on noue à son ressenti du présent. Il est ce parcours qu’on attache dans nos fantasmes du moment. Elle est cette histoire qu’on rêve sans vouloir jamais la vivre. Mais n’oubliez pas qu’il n’y a pas de héros sans costume pourpre. Sous l’apparente justice se cache l’odeur oxydé des genoux qui beignent au sol. La dernière super production de Sony propose une animation d’une beauté sublimissime, une histoire juste et touchante, une musique idéale et créative, un scénario haletant… Bref, nous sommes pris dans la toile de Spiderman Across The Spider-Verse, tout juste sorti dans les salles.
Si Spiderman Across The Spider-Verse n’est pas un énième blockbuster de l’été, il est un film qui ose retisser un lien solide entre cinéma et spectateurs. Il redonne un sens à ce qui manque dans une industrie narcissique. A se contempler, elle en a oublié que ce que nous brodons dans les salles obscures n’est ni du rêve, ni de l’émotion, ni du sentiment, ni même du divertissement. Nous lions du sens ! Nous nous accrochons à une œuvre lorsqu’elle nous parle. A travers une infinité d’univers liés entre eux, Miles Morales est l’araignée la plus sympa du monde.
L’histoire de ce jeune homme mordu par une araignée pour devenir ensuite Spiderman est un souvenir solidement ancré dans la mémoire collective. Ce personnage de fiction vit pleinement dans notre réalité. Comme un membre à part entière de notre famille, le tisseur est un personnage unique dans les comics Marvel. Créé il y a maintenant plus de 60 ans, il reste l’un (peut-être, "le") des plus populaires des créations du studio. Cet adolescent a su traverser les générations avec une capacité unique à les connecter les unes aux autres. Ce sont ses erreurs et ses failles qui vont doucement mais sûrement nous saisir. Mais quelle en est la raison ?
A l’origine lorsque Peter Parker se fait mordre, il ne sait pas quoi faire de ses pouvoirs surhumains. Il les utilise alors pour gagner de l’argent. Rien d’étonnant lorsqu’on est âgé de 15 ans de voir le profit d’être le plus fort de tous. Insouciant et candide Spidey n’est donc pas différent de nous. Par la suite, ses choix égoïstement humains conduiront à la mort de son oncle Ben ; et c’est de cette conséquence que naîtra Spiderman. Dans ce même univers une erreur se produit, un second adolescent se fera mordre par une araignée génétiquement modifiée. Miles Morales devient à son tour un mutant arachnide. Toutefois, il refuse catégoriquement cette condition ; jusqu’à fuir et renier ce qu’il doit devenir : un héros ! Le destin se joue de lui, avec la force d’une œuvre shakespearienne, puisque l’homme araignée originel meurt au cours d’un combat. Laissant ce monde sans son sympathique protecteur. Le jeune latino enfile alors un costume trop grand pour lui. D’erreur en erreur, il va apprendre à ajuster sa nouvelle identité. Au fil du temps il va trouver sa propre façon de tisser son histoire ; jusqu’à oublier qu’il est également un jeune garçon comme tous les autres. De son innocence découlera la mort de son oncle et de sa mère.
Spiderman est le plus humain des héros Marvel. Il fait des erreurs, pleure, se met en colère, nous fait rire, doute, se relève. Plus qu’un héros, il devient avant tout un homme ; à l’instar de tout à chacun. Il est donc facile de comprendre le succès du personnage. Toutefois, dans Spiderman Into et Accross The Spider-Verse, Miles Morales à quelque chose en plus. Un grand pouvoir qu’il tient ici d’évoquer.
Les films de Sam Raimi ont largement contribué à populariser cet adage ; autant qu’à laisser une trace indélébile de l’homme araignée dans le cœur de tous. Cet écho vaut également pour Miles Morale, bien entendu, mais pas là où vous l’attendez ! Nous continuons de nous persuader qu’un héros a pour devoir de sauver des vies, vaincre des supers vilains, être un modèle, avoir des épaules solides. En bref, il est responsable de prendre soin de nos erreurs, de nos vices, de nos peurs, de nos échecs ou de nos failles. Et si nous nous trompions dans notre cynisme ?
Au sein de ces nouveaux films d’animations, Sony montre une facette nouvelle du tisseur. Nous voyons voltiger un Spiderman qui se questionne sur la notion même de héros, du bien et du mal, de l’humanité. Il n’a aucune certitude sur les définitions qu’il doit donner ou accepter de ce qui l’entoure. On lui ordonne d’être ce qu’il ressent ne pas avoir en lui. Cette duologie montre un adolescent qui connaît l’avenir funeste que sera celui de Spiderman. Prophétie dont il se refuse d’être le bouffon passif. Face à cela, nous, comme ses mentors, nous attendons à ce qu’il suive un chemin tracé par l’adage, car c’est ce qu’implique un "grand pouvoir". Mais resteriez-vous sans bouger si vous pouviez empêcher la mort de ceux que vous aimez ?
Miles n’a que 13 ans ! Il désire tout naturellement être un bon fils, s’entourer de ses proches, rentrer à la maison lorsqu’il va mal, se faire des amis, découvrir l’amour avec Gwen. Il ne veut pas être un symbole. Il cherche à être quelqu’un en se confrontant au cynisme de ceux qui le regardent (ses pairs et nous). Ce héros est un enfant qui cherche du sens dans un avenir qu’aucun de nous ne voudrait vivre. Il nous rappelle combien un grand pouvoir implique une grande responsabilité : ce qui façonne l’humanité ne dépend ni de l’autre, ni de soi… Mais de la définition qu’on se donne à "nous" !
Il y a tant à dire sur ce deuxième film et cette franchise qu’il semble impossible de faire le tour du sujet ! Cependant, nous ne pouvons passer à côté de l’utilisation de la synesthésie. Le peintre Vassily Kandinsky a théorisé le son des couleurs et la couleur des sons. Sa théorie pose que chaque son a sa propre couleur ; qui se relie à une émotion unique que nous partageons tous (un peu comme le film Vice Versa). Aussi, par cette considération de l’art de l’altérité nous pouvons nous approcher au plus près de l’âme véritable d’une personne ; de son identité la plus unique.
Dans ce diptyque, il y a une esthétique, un traitement et un mécanisme profondément "Kandiskien". L’univers aquarelle de Gwen en est le plus manifeste. Les couleurs, les formes, les musiques évoluent au fil de ses sentiments et émotions. Tout cela passe par nos cinq sens pour atteindre notre inconscient intime et collectif. Ce qui vaut pour un personnage s’applique des protagonistes aux centaines d’easter egg, justement placés sans jamais briser le 4ème mur. Par cette démarche, tout ce que nous voyons vit dans sa propre existence indépendamment du reste. C’est pourquoi nous percevons, ressentons, entendons, vivons les histoires des héros et des humains qui façonnent ce monde comme si nous en faisions partie… Pour finalement comprendre qu’il est exactement à l’image du nôtre. C’est brillant !
Ce miracle tient en un juste équilibre, entre de grandes prises de risques esthétique, un amour du cinéma, une passion pour la musique, la volonté de raconter une histoire pour tous, un respect humble pour ses personnages ; et surtout avoir une conviction inébranlable d’écrire sa propre voie ! Comme Miles Morales, les réalisateurs de cette saga n’ont pas d’autres ambitions que d’être le héros de leur propre avenir. A travers une infinité d’univers liés entre eux, Spiderman Across The Spider-Verse nous mord pour tenter de briser la prédestination qu’on accepte par facilité tout en s’insurgent avec culot. Il serait peut-être temps d’arrêter de vouloir, par paresse, que d’autres soient responsable de ce qu’on peut dire, faire ou penser ; pour ensuite leur reprocher par confort. Là où ce film va au-delà de la claque visuelle, auditive, scénariste et émotionnelle ; c’est dans ce message final. Pourquoi devoir faire un choix entre sauver une personne et tous les univers ? Miles Morales nous rappelle (comme le poète goupil) que nous ne pouvons pas être le héros de son histoire sans en être l’auteur. Rien ne vous dira si vous êtes Spiderman. Mais la réponse ne tient qu’à une chose simple : il faut juste sauter dans le vide !
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