RIVE GAUCHE
Dans "Paris, boulevard Voltaire", publié chez Gallimard, Michèle Audin, membre de l'Oulipo, raconte à sa manière les soubresauts de l'histoire de l'artère parisienne. L’occasion de faire un arrêt sur ce groupe historique, défenseur d'une littérature sous contrainte, hybridant mathématiques, goût du jeu et de l'humour absurde, qui fête cette année ses 63 ans.
Une valse de statues, une rafle de juifs communistes, la première manifestation du MLF, une percée de la police meurtrière, le massacre du Bataclan… Il s’est passé beaucoup de choses sur le boulevard Voltaire depuis son inauguration le 7 décembre 1862. Pour raconter l'histoire de "la plus longue ligne absolument droite du Paris haussmannien", jalonnée de révoltes politiques mais aussi de souvenirs personnels et intimes, Michèle Audin s'est arrêtée à quatorze stations. Leur mémoire peut se lire dans Paris, boulevard Voltaire, publié chez Gallimard dans la collection l'Arbalète. Si l'Histoire est omniprésente dans ce récit aux accents oulipiens, on y trouve également de la géométrie, entre autres "parallèles" et "perpendiculaires". Ecrire avec des contraintes formelles, de genre et de thématiques est caractéristique de l'Oulipo, dont Michèle Audin est membre depuis plus de dix ans. Que vient faire l'auteure, enseignante en mathématiques par ailleurs, dans les rayons de l'Ouvroir de littérature potentielle ? A travers sa dizaine d'ouvrages, elle tente de montrer que cette science est "un élément de la culture en général (et de la culture générale)", peut-on lire sur le site de ce club de poètes farfelus.
"Quand tout est permis, rien n'est possible" disait Georges Perec à propos du jazz. Cette maxime résume toute l'œuvre perecquienne : pas de créativité sans contraintes. Figure emblématique de l'Oulipo, créé en 1960 par le poète Raymond Queneau et l'ingénieur François Le Lionnais, Georges Perec adhère à la théorie du groupe qui revendique l'expérimentation des possibilités du langage sous la contrainte. Se laisser fasciner et emporter par les mots, le pouvoir du langage est un fait connu. L’écriture permet d’inscrire son propre récit et il est impossible de ne pas évoquer l'Oulipo en termes de créativité littéraire. La langue est repensé sous l’esthétique de la contrainte. Mouvement littéraire, non. Littérature aléatoire, non plus. Mais l'Oulipo à l'initiative d'un duo neuf, revient sous forme de projet collectif et vise à déchaîner la créativité ! Parmi les piliers de cette société pas si secrète, on peut citer Jean Lescure, Paul Fournel et ce cher Georges Perec, dont la notoriété est en partie liée à une disparition...passée inaperçue. Il s'agit de la lettre "e", entièrement absente son ouvrage intitulé La Disparition. Jeu de maître !
L'Oulipo ne se réduit pas à quelques jeux de mots. Il s'agit d'une structure entière de réinvention des anciens modèles, qui peuvent donner forme à des ouvrages complets et aboutis. Le groupe prend l’initiative de travailler sur des travaux déjà écrits afin d’y apporter leur touche "magico-oulipienne". Toute une perspective. Cette démarche amène à la notion de contrainte, en tant qu’élément stimulant l’imagination et la création. Une vision littéraire qui séduit auteurs et lecteurs. Erigé en chef d'œuvre du "style oulipien", Exercices de style de Raymond Queneau raconte la même histoire sous 99 formes différentes. Une prouesse d'écriture, qui perdure encore aujourd'hui, comme en témoigne le succès de L'anomalie d'Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020. Toujours avec une touche d’humour, l’Ouvroir de Littérature Potentielle travaille à l’ouverture de nouveaux débats sur l’écriture, et à la publication de textes captivants. Certains ouvrages oulipiens s’adaptent particulièrement bien à l'oral, puisqu'ils sont déclinés en audio-book où le langage se révèle passionnant, et permet d’appréhender l’ensemble des enjeux. Écrire, qui lie l’âme à la plume... devient un jeu dans les ateliers d’écriture et travaux académiques, où l'Oulipo continue d’interroger, de capter, de nous amuser.
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