INTERVIEW
Publié le
9 décembre 2024
Membre du groupe de rock français Film Noir et compositeur de cinéma (notamment du film primé Ravissement d'Iris Kaltenbäck), Alexandre de La Baume a dévoilé, en octobre dernier, son premier album solo baptisé 2019-2024. Un véritable concentré d’émotions et d’impressions soigneusement écrites et conservées dans un carnet durant cinq années bien remplies. Pour S-quive, l’artiste revient sur la genèse de cette proposition artistique sensorielle et nous livre sa première Live Session inédite, tournée au studio La Hutte, avec le titre "Skopelos".
Vous avez sorti votre premier album personnel début octobre construit par bribes de notes vocales pensées dans vos voyages en train, ou d’enregistrements par-ci par-là… Est-ce le travail d’un puzzle dont il fallait retrouver toutes les pièces ?
Il y avait l’idée de capter des impressions musicales. Je suis allé vers la musique car c’est le mode d’expression le plus naturel pour moi. C’est plus difficile d’exprimer les choses autrement, dans la conversation ou par écrit, donc je suis passé par des enregistrements sur mon iPhone, et ensuite, je les ai développés pour aller au bout de l’émotion. Il y a quelque chose du puzzle et aussi de trouver la musique intérieure pour avoir des tonalités justes.
Qu’évoque ce titre d’album 2019-2024 pour vous ?
C’est justement cette idée que durant ces cinq années, il s’est passé plein de choses dans ma vie personnelle et professionnelle. J’ai commencé à faire de plus en plus de musiques de film, il y a eu toute une tournée annulée avec mon groupe de rock à cause du Covid, j’ai eu deux enfants… Il y a eu beaucoup de choses ! Ce nom, c’est comme un carnet d’impressions, je voulais préserver ce côté intime mais aussi la fraîcheur et la spontanéité de ce type de carnet.
L’album est très harmonieux même dans sa ligne qui fait souvent référence à la nature et à l’obscurité. Pourquoi ces thématiques ?
C’est vrai. Je pense que pour l’obscurité, il y a une recherche dans cet album et cette envie de parler au mystère des choses pour les mettre en musique. Il y a aussi les impressions liées aux balades, seul, dans la nature et des moments qui peuvent te rappeler des souvenirs ou des émotions selon le paysage dans lequel tu te trouves. Je voulais travailler sur ces ressentis en musique.
"Ce qui m’attire dans le rock, c’est la dimension d’exutoire et d’immédiateté."
Vous êtes aussi membre du groupe de rock français Film Noir au côté de votre sœur Joséphine de la Baume, notamment. Le rock a toujours eu cette dimension noire et transgressive. Ce sont des adjectifs qui vous caractérisent ?
Je pense que oui car ce qui m’attire dans le rock, c’est la dimension d’exutoire et cette immédiateté. On branche les guitares dans les amplis, on joue un morceau, il y a ce cri primitif et cette expression d’une colère intérieure. C’est ça que j’aime dans le rock ! [Rires] Aujourd’hui, quand je fais un concert de rock, dans une époque où on est anesthésié par l’information, je trouve pertinent d’en revenir à une colère première, ça me semble essentiel.
Votre voix a cette profondeur feutrée à la Benjamin Biolay… Quelles ont été vos inspirations pour la construction de cet album ?
Ça me touche car Benjamin Biolay a une très belle voix donc merci ! [Rires] Les influences, c’est plus du côté anglo-saxon. Ce sont deux Américains qui vont au bout de leurs visions personnelles : Sufjan Stevens et Adrianne Lenker. Dans les deux cas, ils dévoilent quelque chose de très intime, personnel et romanesque.
Vous êtes aussi compositeur de cinéma. Vous avez réalisé la bande-originale du film Le ravissement, porté par Hafsia Herzi et Alexis Manenti, entre autres, qui a d’ailleurs reçu le Prix Lumière du Premier Meilleur film. Que vous a apporté cette expérience musicale ?
C’est très libérateur de travailler sur l’œuvre de quelqu’un d’autre parce qu’on n’a pas l’inhibition de se regarder dans un miroir et de se dire : "Pourquoi j’ai créé cette chanson ? A qui elle s’adresse ? ..." Il faut être au service du film et de son créateur. Paradoxalement, je me sentais plus libre car ce n’était pas un travail pour moi, en face de moi. Et cette liberté, j’ai pu la retrouver un peu plus, nourri de cette expérience.
Est-ce un exercice si différent de ce que vous avez l’habitude de réaliser artistiquement ?
Oui car on ne peut pas s’écouter complètement. Il faut travailler pour le film et, très vite, la musique peut devenir "trop" ou "pas assez" pour souligner une émotion qui n’a pas besoin de l’être. Il faut vraiment être dans cette justesse permanente avec les personnages. Il y a, comme dans toute contrainte, de la liberté.
Vous avez réalisé trois sessions live pour cet album. Pourquoi ?
Un peu pour boucler la boucle. C’est un album que j’ai fait presque en étant le seul maître à bord, parfois avec quelques musiciens, mais en enregistrant tout moi-même, pièce par pièce, dans ma bulle. Je trouvais beau de lui donner une nouvelle forme en live avec les musiciens pour m’enrichir de leurs perspectives musicales et de ce qu’ils peuvent m’apporter eux-mêmes. C’est l’accouchement final de la première impression, quand j’étais dans un train à regarder un paysage qui m’inspire quelque chose. Les sessions ont été réalisées par Elias Borst et Valentin Marziou, et mixées par Samy Osta.
"Il faut travailler à être pleinement le reflet de sa personnalité."
Racontez-nous la genèse de ces moments si intimes avec vos musiciens dans un lieu singulier, à La Hutte….
La Hutte, c’est un tout nouveau studio très beau, en bois et en verre, créé par le producteur de musique Émile Laroche. Il est situé dans la forêt, au bord d’une rivière, au sud de Fontainebleau. Je trouvais que c’était le lieu idéal pour cet album dont je souhaitais qu’il ressemble à une balade en forêt avec toutes les impressions.
La première reprend le titre "Skopelos" …
Durant l'interview, nous avons parlé de la liberté et de la contrainte et "Skopelos" s’en inspire. J’étais sur l’île, Skopelos, en Grèce avec des amis et je devais partir quand il y a eu une violente tempête. Il n’y avait plus aucun bateau pour quitter l’île, entourée de vagues énormes. Ce jour-là, j’ai ressenti une sorte d’extase alors que c’était hyper contraignant. Devoir m’abandonner à ce contexte, je l’ai vécu comme quelque chose d’enivrant. Être prisonnier de cette île, je me suis senti d’un coup hyper vivant et ancré sur le moment, plutôt que d’être constamment dans l’expérience d’après. Des gens l’ont aussi vécu avec le Covid : le fait que tout s’arrête et d’être livré à soi-même. Il peut y avoir une vraie beauté à être immergé dans l’impression du moment. Même musicalement, et c’est ce qu’on a essayé de reproduire avec la vidéo, c’est cette immersion progressive, avec un dezoom qui fait monter l’atmosphère musicale du morceau. C’est comme si, peu à peu, le monde vient à nous. On est souvent dans nos pensées, à imaginer l’après. C’est rare d’être présent au monde.
Vous avez toujours eu une imagerie très léchée, presque cinématographique. Pour ces sessions, vous jouez la carte de la simplicité. Il y avait envie de faire une production épurée, sans artifices ?
Oui, avec ce disque, dans une époque où on est saturé d’images, il y a l’envie de ne rien imposer, de livrer les choses pour respecter un peu les gens. C’est beau et sain de présenter une image qui permette aux gens d’aimer ou non.
Que faut-il esquiver dans la musique selon vous ?
Il faut esquiver l’imitation. Il faut trouver sa voie, assumer sa différence. C’est difficile d’être soi-même, il faut travailler à être pleinement le reflet de sa personnalité.
Avez-vous des projets prochainement ?
Oui, l’idée c’est d’avoir déjà une suite à 2019-2024 ! [Rires] Je continue à écrire et à retranscrire des idées en musique. Un album de Film Noir va sortir aussi l’année prochaine, nous le finalisons. Beaucoup de projets de musiques de film aussi à venir !