INTERVIEW
Publié le
29 juillet 2023
Head of Music Supervisor de Louis Vuitton, Tajan, DJ discret et enthousiaste, a su faire de sa passion son métier dans les plus hautes sphères de la mode. L’artiste au nom feutré était présent à l’affiche du Festival We Love Green, en avril dernier. Sans artifice et sans prétention, il se confie à S-quive sur son parcours, ses influences et ses projets.
Bonjour Tajan, nous aimerions en connaître un peu plus sur vous…
Salut ! Alors mon nom de scène est Tajan, je travaille avec le Label DFA d’où ma présence depuis 2 ans sur le festival We Love Green. A la base, être DJ n’est pas mon métier, je ne suis pas un artiste, je travaille chez Louis Vuitton en tant que Music Supervisor. Je m’occupe de toute la partie musique pour la marque, de tous les évènements Louis Vuitton, des pubs et des défilés. Je suis DJ depuis plus de 15 ans, je fais ça comme une sorte de passe-temps qui complémente mon obsession des disques que je collectionne depuis très longtemps. Je suis devenu DJ par hasard, à l’époque du ParisParis, un club à Opéra. Je n’ai jamais vraiment arrêté et grâce à mes amitiés et à mes connexions professionnelles, j’ai la chance de me retrouver booké dans des clubs et des évènements divers et variés.
"Il y a des échanges fréquents avec Pharrell, on ne s’ennuie pas !"
Pouvez-vous nous parler de votre arrivée au poste de Music Supervisor à Louis Vuitton ?
Ce n’est pas un parcours linéaire. J’ai travaillé dans le Label indépendant New yorkais ZE Records créé dans les années 1970, début 1980, qui a été arrêté et puis remonté en 2004. J’étais fan de leur catalogue, et j’ai pu le rééditer. C’est là que je me suis retrouvé dans la musique. De fil en aiguille, j’ai eu plein de rôles dans l’évènementiel. Je suis arrivée chez Louis Vuitton il y a 5 ans maintenant où j’occupe ce fameux poste de Music Supervisor. Je suis à la croisée entre la direction artistique et l’opérationnel. Mon rôle est de faire le lien entre les créatifs et les équipes opérationnelles : proposer de la musique, parler avec les producteurs, trouver les bons morceaux pour les défilés, négocier les droits... C’est passionnant, très intense mais génial, ça me permet de rencontrer des personnes incroyables. J’ai des collègues très sympas, anciennement Virgil Abloh et aujourd’hui Pharrell Williams. Il y a des échanges fréquents avec Pharrell, on ne s’ennuie pas ! Même si Louis Vuitton ne m’a pas empêché de m’entourer déjà pas mal auparavant pendant mon parcours professionnel. Les deux mondes s’entrecoupent finalement entre personnel et professionnel.
Quelles sont vos inspirations et ce que vous aimez transmettre avec la musique ?
Question à laquelle j’aurais dû réfléchir avant [Rires] Je mixe beaucoup de dance music. Ça évolue dans plusieurs univers : du disco un peu cosmique à la techno plus déstructurée. Je joue des choses différentes si je fais des scènes à 7 heures du soir ou à 6 heures du matin. J’ai une identité musicale hyper fluctuante. En ce moment, je joue du zouk des années 1990, de l’électro des années 2000, ce n’est jamais très froid il y a toujours un peu de groove. Je joue sur la sensibilité et non pas les prouesses techniques. L’idée, c’est que les ¾ de ce que je joue, les gens ne l’aient jamais entendu parce qu’il y a tellement de choses dans le monde musical. J’aime bien aller gratter des petites niches, que ce soient des labels, des scènes ou des périodes dans tel pays… J’essaie de jongler avec tout ça.
Où vous retrouve-t-on généralement ? Quels sont les lieux où vous mixez ?
Je mixe moins qu’avant mais j’ai fait plusieurs choses différentes. J’ai été DJ à ParisParis, qui était dirigé par Marco Dos Santos, au Baron aussi pendant longtemps, au Social Club. J’ai joué dans beaucoup d’endroits de Paris. Ce ne sont que des évènements de dernière minute, pas que des lignes directrices, c’est assez volatile dans ma manière de me produire. Récemment je suis allé au Soho House. J’aime bien les trucs petits formats.
"Je veux faire réémerger la scène guadeloupéenne et martiniquaise, d’une façon ou d’une autre."
Qui sont les artistes qui vous ont influencé ?
Vu que j’ai côtoyé beaucoup beaucoup d’artistes, des gens m’ont marqué et bouleversé par ce qu’ils faisaient. Je pense en premier au directeur du label new-yorkais, Ze Record, par rapport à son historique à New York, je pense à la scène Down Town où on trouvait des Warhol et des Basquiat. En bref, des tonnes de choses improbables et très importantes pour moi à cette époque. Aussi, il y a une vingtaine d’année, j’ai interviewé James Murphy, la deuxième fois qu’il est venu en France. Nous sommes d’ailleurs devenus assez potes, on se connaît assez bien, j’admire ce qu’il a fait en tant que producteur, il a influencé en quelque sorte mon parcours. Il y a aussi des DJ new yorkais et anglais qui m’ont inspirés, tous les gens que j’ai rencontrés et leurs personnalités ont un peu distillé dans la mienne.
En dehors de votre poste chez Louis Vuitton avez-vous des projets personnels qui vous tiennent à cœur ?
Il y a quelque chose qui trotte dans ma tête. Je cherche à aller plus loin dans l’exploration de la scène guadeloupéenne et martiniquaise. Le zouk, entre les années 1980-1987, est assez méconnu et renferme énormément de pépites, assez pertinentes, aujourd’hui. La production fait penser à beaucoup de sons présents à notre époque. J’aimerais aller plus loin, trouver une plateforme pour faire connaître ce style, j’aimerais trouver une manière de faire un documentaire avec les producteurs de cette scène martiniquaise actuelle. Remettre en avant leur travail et la pertinence que ça apporte en 2023. L’outre-mer, c’est la France, mais il y a toujours eu des clivages culturels. Il y a toujours beaucoup d’aprioris. On a surtout connu les artistes de La Compagnie Créole ou Franky Vincent, qui ont fait des choses intéressantes mais qui ne représentent pas toute la scène zouk finalement. Ça a une image festive rigolote, la plage, mais il y a aussi des musiques poignantes et tristes. Je ne sais pas sous quelle forme ça prendra mais je veux faire réémerger ce style d’une façon ou d’une autre.