LES PLUMES
De “Psychose” à la série “The Idol”, en passant par “Black Swan” et “Fight Club”, le grand écran n’a cessé d’exploiter les troubles mentaux pour exprimer la complexité de ses personnages. Est-ce toujours pertinent ? En s’emparant de ce sujet, le cinéma ne risque-t-il pas de banaliser les maladies mentales ?
La figure de l’artiste torturé parle à tout le monde, Charles Baudelaire, avec son recueil de poèmes Les fleurs du mal ou le peintre néerlandais Vincent Van Gogh en sont l’incarnation parfaite. Le mythe selon lequel la mélancolie permettrait une grande créativité a la peau dure, notamment dans le monde du cinéma.
Le cinéma serait-il devenu l’ilot de résistance à cette persévérante injonction au bonheur ? Ou les histoires sans protagoniste désabusé, torturé, fou à lier, n’auraient simplement pas de saveur ?Être mystérieux ne suffit plus pour attirer les foules. Il faut aussi gober des pilules et voir un psychologue. Si le sujet des maladies mentales semble toujours tabou, l’accès à Internet a permis d'accroître les informations sur ce sujet et de sensibiliser les populations, avec son lot de tendances sur les réseaux. Anxiété, dépression, hyper activité...Depuis quelques années, nombreux sont les malades imaginaires qui s’auto-diagnostiquent sur la Toile, en particulier sur TikTok. L’application joue un rôle considérable dans la romanisation de ces troubles, agitant les algorithmes à coup de hashtags. Après la course au bonheur et au bien-être, la souffrance serait-elle devenue à la mode ? Et ce sont les jeunes qui en pâtissent le plus, génération connectée oblige.
L’industrie du cinéma, qui a vu la tendance s’installer chez les plus jeunes, n’a pas hésité à s’emparer de ces sujets pour les exposer sur grand (ou petit) écran. Sortie en 2019, la série Euphoria dépeint une jeunesse américaine des classes moyennes perdue entre troubles du comportement, drogues et les drames familiaux. Cependant, l’utilisation des instabilités mentales par les cinéastes ne date pas d’hier. Nombreuses sont les œuvres devenues mythiques qui en témoignent.
Celle qui a le plus marqué mon adolescence est sans contester l’enfiévré Black Swan (2010). Le long-métrage de Darren Aronofsky met en scène les troubles obsessionnels et la schizophrénie d’une jeune ballerine interprétée par Nathalie Portman. Véritable chef-d’œuvre, ce film aborde les troubles mentaux de manière spectaculaire sans en faire l’apologie. L’obsession du personnage principal crée sa perte à la fin du film.
Le tueur en série ou l’enfant traumatisé n’a plus le monopole de l’instabilité sur grand écran : cela peut être n’importe qui.
Comment ne pas citer l’insoutenable Psychose du grand maître de l’intrigue, AlfredHitchcock. Son film a eu un énorme impact sur le cinéma d’horreur. Il souligne la dualité présente chez l’Homme grâce au personnage de Norman Bates interprété par Anthony Perkins. Aujourd’hui, ce sujet est traité d’une manière totalement différente. Le tueur en série ou l’enfant traumatisé n’a plus le monopole de l’instabilité sur grand écran : cela peut être n’importe qui.
Prenons une série télévisée sur une chaîne du câble, il y aura forcément un personnage malade. La maladie mentale est démythifiée, dédramatisée. Si la chose est honorable car elle permet de se rassurer et d’accepter sa différence, “glamouriser” les maladies mentales est dangereux. Doit-on le lire comme une leçon de morale implicite de la société ? Le film japonais Helter Skelter sorti en 2012 en est un très bon exemple. Dans ce drame, la jeune et splendide Lillico, mannequin, passe l’entièreté de son corps au scalpel de la chirurgie esthétique. Peu à peu, son corps commence à se dégrader et des taches brunes apparaissent sur son visage.Victime de cette société sexiste où pour être célèbre, la femme doit être jeune, fine et jolie, Lillico commence à prendre peur et sombre dans la paranoïa. Ici, la réalisatrice Mika Nigawa expose la face sinistre du monde du show-business où les stars sont plus torturées qu’épanouies. La critique est claire et explicite : il n’est pas question de rendre les troubles mentaux attrayants, contrairement à la série The Idol, qui s'intéresse également au monde des paillettes.
Réalisée par Sam Levinson, la série américaine qui vient de sortir sur la chaîne HBO met en scène Lily-Rose Depp dans le rôle de Jocelyn, une chanteuse déséquilibrée sous l’emprise de l’étrange Tedros, interprété par le chanteur The Weeknd. La performance de certains acteurs - The Weekend principalement- est tout aussi médiocre que les discussions embarrassantes des personnages. Mais là n'est pas le pire.
Ainsi débute la série, avec cette perturbante citation dite par la productrice de la compagnie de disque. De prime abord, je m’étais dit que l’affirmation de cette femme glaciale allait être démontrée par la série, que nenni ! En quoi le fait de ne pas réussir à prendre de douche pendant des jours et faire des crises d’angoisse pendant des heures est sexy ? Ici, la folie féminine va de pair avec l’hyper sexualisation. Ce qui n’est pas étonnant de la part de Sam Levinson, accusé par de nombreux fans d'être pervers et d’accorder trop de nudité non-nécessaires dans sa précédente série, Euphoria. La série, qui donnait l’impression de faire un portrait critique d’une industrie brisée par drogues et alcool donne plutôt à voir un fantasme tordu du réalisateur. Les troubles mentaux ne sont traités qu’en surface pour ce début de saison, ce qui est vraiment dommage. Pendant que je regardais les premiers épisodes de la série, une question ne quittait pas mon esprit : “Est-ce vraiment nécessaire ?“ D’autant plus qu’avec un casting regorgeant de célébrités telles que Jennie, chanteuse de K-Pop du groupe des BlackPink ou encore Lily-Rose Depp, icône de mode des ados accro à l’application Pinterest, les producteurs du film ciblent manifestement les jeunes. Ce qui confère à la série un caractère encore plus dangereux. En attendant de meilleurs épisodes, les cinéastes devraient cesser de placer sur un piédestal la maladie mentale.