INTERVIEW

Polo & Pan : "L’intuition, c’est le concept de l’album 22:22."

Publié le

6 mars 2025

Soleil couchant, la lumière dorée teinte les murs du label parisien où l’on retrouve Polo & Pan, de leur vrai nom Paul Armand-Delille (alias "Polocorp") et Alexandre Grynszpan (alias "Peter Pan"). Ils attendent sereinement au bout de la pièce, enfin sortis de l’univers onirique d’où s’est envolé un album, qu’ils offrent le 28 mars prochain. Quatre ans après Cyclorama et sept ans après Caravelle, le duo électro français propose 22:22, heure miroir, une odyssée nocturne, rêveuse et dansante, rythmée par des collaborations avec Beth Ditto ou Arthur Teboul , entre autres. À travers cette création plus artisanale que les précédentes, les deux artistes ouvrent la voie à l’imaginaire et à l’introspection, dont eux viennent de se sortir… pour mieux s’y engouffrer à nouveau la nuit, en live à l’Olympia, à Coachella et à travers leur tournée française. S-quive les rejoint à la nuit tombante, à 17h17, une heure miroir chargée de symboles. Un clin d’œil aux artistes, qui, à travers cet album, invitent chacun à s’approprier son instant.

Polo & Pan ©Amit Israeli

Votre musique est une invitation au voyage, au sens propre comme au figuré. C’est ça, pour vous, la définition d’un morceau réussi ? C’est celui qui vous arrache à votre quotidien ?
Polo : Oui je pense ! Même si c’était particulièrement le cas dans le premier album, où on était littéralement sur des destinations. On n’écrit pas forcément sur des choses réelles, sur notre quotidien, c’est plus dans des mondes imaginaires, dans des choses fantasmées. Le vocabulaire qu’on utilise est plus de l’ordre onirique que réaliste.

Pan : En tout cas, il y a un voyage. Ça peut être des destinations réelles, mais ça peut aussi être une introspection, un voyage interne, une façon d’aller chercher dans nos souvenirs et que chacun de nos auditeurs aille chercher dans les siens. On veut qu’il y ait un mouvement, intellectuel ou autre.
Vous vous souvenez du point de départ de ce troisième album ?

Pan : Oui le début je m’en souviens parce que Polo et moi, on a fait une pause pour la première fois en 12 ans, qui était un peu méritée et nécessaire pour contempler tout ce qu’on avait fait. Ensuite, au détour d’une de nos discussions téléphoniques, parce qu’on s’appelait régulièrement, on commençait à imaginer l’album et il m’est sorti un mot. Il y a eu un avant et un après ce mot, qui m’a servi de fil conducteur sur quelques-uns des morceaux, même si ce n’est pas le concept de l’album. C’est le mot : paréidolie. Je crois que c’est à partir de là qu’est né l’album dans ma tête.
La paréidolie, vous pouvez m’expliquer ?
Pan : La paréidolie, c’est quand, par exemple, tu t’allonges dans l’herbe, tu regardes les nuages, et que tu y vois un mouton ou un car... C’est ta propension à conceptualiser quelque chose d’humain ou concret à travers quelque chose d’abstrait. Ça peut être partout, une flaque d’eau…

Polo : Des rochers dans une montagne, oui, c’est partout…

"Le jour et la nuit, le soleil et la lune, c’est comme le Yin et le Yang de notre album."


22:22, l’heure miroir, pourquoi ce titre ? Et non paréidolies, par exemple ?

Polo : Paréidolies, on trouvait ça un peu compliqué à expliquer, on avait peur que ça fasse un peu pompeux, que ça ne passe pas en anglais, pour certaines raisons ce n’était pas l’idéal. Puis, on s’est dit que ça ne ressemblait pas forcément autant au disque que 22:22 où il y a le concept de la dualité, du miroir, on est un duo et ça se répond. C’est aussi une heure magique, un peu une heure de changement.

Pan : Le jour et la nuit, le soleil et la lune, c’est comme le Yin et le Yang de notre album. Il y a aussi l’idée de la coïncidence, de l’intuition. Quand tu vois 22:22, t’imagines qu’il y a une symbolique forte, comme s’il y avait quelque chose à prendre à ce moment-là, qu’il fallait faire un vœu ou que quelque chose se passait…

Polo : Que quelqu’un pense à toi !

Pan : Oui, ou que quelqu’un pense à toi ! L’intuition, c’est le concept de l’album. C’est-à-dire que c’est l’album le moins scénarisé, ou le moins storyboardé qu’on ait fait. On a plus fait appel au jeu, autant dans la manière de créer, qu’au détour de nos rencontres. Tout a été fait de manière intuitive.

Polo : Le premier album, on a écrit un storyboard de chansons, d’idées. Là, on n’a pas fait ce travail d’écriture, on a plus installé des instruments, et joué. C’est passé par les mains.
Vous êtes des amateurs de musique classique, vous en écoutez notamment pendant votre processus de création. Qu’est-ce que ça vous apporte à ce moment-là précisément ?
Polo : Ça repose, c’est une des seules musiques qu’on peut écouter après une session studio de 3 heures. Ça nous détend, quand on fait des pauses ping-pong ou échecs, on aime bien en écouter même si on l’a moins fait pendant cet album.

Pan : La musique classique, c’est quelque chose qui fait appel à l’image, et il y a beaucoup d’images, parce qu’il y a beaucoup de narration : une introduction, une pause, un élément modificateur, tu passes d’accords majeurs à mineurs… C’est une histoire, toujours. Tous les deux, on a été très inspirés par la musique classique, on a souvent essayé de reproduire ça dans nos morceaux, de raconter des histoires.

Polo & Pan ©Amit Israeli

La poésie et la nuit se répondent dans votre album, quels liens vous faites entre les deux ?

Pan : Bon, je vais faire un peu mon intello ! [Rires] La poésie, ça vient de "poiein" en grec, et ça veut dire "créer". La nuit et le jour sont deux sources d’inspiration ! On travaille beaucoup de jour et on reproduit souvent la nuit pendant nos concerts ou nos DJ sets. 22:22 c’est cette relation inaliénable, et indubitable… entre le jour et la nuit. Le jour est poétique et la nuit est onirique.

Polo : Symboliquement, le jour, c’est l’ordre, c’est clair, on sait, on travaille… et la nuit, c’est le moment magique où tu ne sais pas. Surtout dans l’histoire, on s’imagine qu’il n’y avait pas de lumière nulle part, tout était magique. C’est de l’ordre du mystère et du poème, de la rêverie. Il y a quelque chose qui se passe qui a toujours été intriguant, et on fantasme beaucoup plus la nuit. On ne sait pas ce qu’on entend, on ne sait pas ce qu’on voit… Il y a les petits esprits qui sortent… [Rires]

Pan : Ça peut arriver grâce à la nuit ! Tu te réveilles, et tu as une petite mélodie dans la tête, tu ne sais pas d’où elle sort, tu ne sais pas si tu ne l’as pas entendue pendant que tu dormais, si ce n’est pas le fruit de milliers de choses qui se sont synthétisées quand tu rêvais ? Et tu crées quelque chose… La nuit est source de création folle, même à travers les rêves ! Tu sous-estimes ce que tu es capable de faire inconsciemment…

"C’est un album où on a remis les synthétiseurs et les ordinateurs au centre, on a créé un studio comme un terrain de jeu."

22:22 est au croisement de l’électro, de la pop et du disco. Le titre "Disco Nap" est déjà disponible. Quel est votre rapport au genre disco, quand on sait son impact historique, social et musical…

Polo : Le disco nous lie beaucoup à la manière dont on s’est rencontrés, au Baron. On est des DJ de clubs et le disco, c’est vraiment la musique par excellence de la boîte de nuit. On n’avait pas trop exploré le disco dans nos disques précédents et je pense qu’on avait envie de faire un petit peu autre chose et revenir à nos sources de DJ. Du disco, on en écoute énormément avec Noémie et Benjamin qui font partie de la team graphique. Toute l’équipe ici en écoute ! On est vraiment clients de disco ! Et à nouveau, on ne s’est pas dit : "Tiens, on va faire du disco sur cet album". Non, on l’a fait, c’est tout.

Pan : C’est un album où on a remis les synthétiseurs et les ordinateurs au centre, on a créé un studio comme un terrain de jeu, on a créé un set-up où on pouvait vraiment très facilement et instinctivement jouer. Et le disco, le funk, c’est l’âge d’or des instruments, des synthétiseurs. On a aussi voulu rendre hommage à ça et naturellement, peut-être qu’il y a un son un peu disco parce qu’on a beaucoup utilisé les boîtes à rythmes à l’ancienne. On a été beaucoup plus analogiques qu’avec la souris et ce qu’on appelle les plugins. On a eu une approche de la musique plus artisanale !

Polo : Le procédé en studio ressemblait plus à ce que les gens faisaient dans les années 1980, plutôt que ce qu’il se fait aujourd’hui en pur digital, "In the box" comme on dit. On a voulu toucher à ces vieilles machines, on les a un petit peu collectionné, on s’est demandé comment les utiliser et on a expérimenté avec. C’est ce qui a pas mal créé le son de l’album.

Pan : On ne veut pas être prisonniers, ça ne nous empêche pas d’avoir une idée qui ne vient pas de ça, mais naturellement, on a fait en sorte d’avoir un terrain de jeu pour que ce soit facile. On est parfois un peu prisonniers de la technologie, des synthétiseurs, c’est plus facile d’être sur un ordi… Mais là, cette cour de récré qu’on avait dans le studio était hyper intuitive et ça a marché.

Ça vous a demandé plus de temps de créer "artisanalement"?
Pan : Non parce qu’on travaille avec Nicolas Miossec qui s’occupe de notre set-up. Il nous a aidé pendant que nous étions en train de faire plein d’autres choses. Il connectait tous nos instruments entre eux pour qu’on ait juste à dire : "Je veux que tu mettes ça", et il enregistrait. C’était hyper fluide !

Polo : Pour travailler dans ce style-là un peu plus à l’ancienne, il faut quelqu’un qui travaille avec toi. C’est ce qu’on a pu faire sur ce nouveau disque et c’est assez cool de faire les choses un peu différemment pour que le propos musical change. Nicolas Miossec, on l’adore !

"On a eu 90 idées de morceaux et on a fini avec cet album !"


Il y a six collaborations sur votre nouvel album, de Beth Ditto à Arthur Teboul. Comment arrivez-vous à articuler tous ces différents talents pour parvenir à l’harmonie finale, à la clôture de l’album ?

Pan : On a toujours collaboré ! On a commencé à le faire au détour d’enregistrements de sessions avec des musiciens, des gens qui avaient un talent incroyable… Pendant le deuxième album, on a été confronté au Covid mais on a quand même collaboré, on a testé à distance "Tunnel" avec Channel Tres. On aurait voulu collaborer beaucoup plus concrètement parce qu’on s’était approché d’associations amérindiennes pour le morceau, "Ani Kuni", mais le Covid nous a empêchés d’avoir cette interaction humaine… Sur 22 :22 avec cette disponibilité qu’on avait avec les gens, on a pu rencontrer tout le monde et on avait du temps en studio, ça a connecté.

Polo : Sur les collaborations, on essaye de faire le meilleur morceau possible, la meilleure collab avec la personne, en s’adaptant aussi avec celui ou celle avec qui on va travailler. Ce n’est jamais la même manière de faire, en tout cas, on ne s’est pas dit : "Il faut que les morceaux soient plus comme ça, on a besoin de ça…". On essaye juste de faire des supers morceaux. D’ailleurs, on en a fait beaucoup et on en a choisi petit à petit, on a eu 90 idées de morceaux et on a fini avec cet album ! C’est comme ça qu’on travaille. Ça aussi, c’est un peu un procédé à l’ancienne où on choisit petit à petit et l’album apparaît…

Pan : La cohérence dans le son, on la garde parce qu’au final, on enregistre des gens mais on a notre fil, on est derrière après, avec toute la conception…

L’échange, c’est ce qui vous permet d’atteindre votre plein potentiel créatif ?

Polo : Oui, ça a toujours été ça … On faisait tous les deux de la musique avant et depuis notre rencontre, on a fait des choses qu’on ne pensait pas pouvoir faire. On a tout de suite invité les chanteuses Victoria Lafaurie et Marguerite Bartherotte sur "Dorothy".

Pan : Antonin aussi a fait quelques morceaux... L’idée de collaborer, toujours, et j’insiste là-dessus, très naturellement, que ce soit dans la musique ou la scénographie, l’artwork de nos albums…C’est une chance d’interagir avec plein de gens hyper doués autour de nous. Ensuite, le fait que le groupe ait grossi, on a pu contacter des gens qui sont à l’autre bout de la planète et ça, c’était notre fantasme !

Cette harmonie, évoquée juste avant, a enchanté un grand nombre de personnes puisque votre tournée européenne était sold-out. C’est l’Olympia les 30 et 31 mars prochain, et, cette année, vous serez à Coachella pour la seconde fois. Comment avez-vous préparé ça ? Toujours accompagnés de musique classique ?
Polo : On a bossé comme des oufs !

Pan : Vraiment comme des oufs !

Polo : On est super contents du résultat. Jusqu’au dernier moment on était un peu dans l’urgence parce qu’on a augmenté le niveau d’exigence des techniques, donc on avait un calendrier extrêmement serré. Mais comme on a une super équipe, ce n’est pas que nous, le live est vraiment génial. On ressort encore d’une résidence de quatre jours où on essaye d’améliorer le son et on part pour une tournée française à partir de demain !

Pan : Notre dernière tournée a duré plus de deux ans, on a fait 150 dates. Là, on arrive au tout début du nouveau chapitre et on va le faire évoluer. La différence entre un album et une tournée, c’est qu’un album, dès qu’on l’a rendu, il est figé. Par contre la tournée, on peut la modifier, on peut modifier les morceaux, toujours et toujours les transformer… C’est hyper excitant ! Et donc le premier show qu’on a fait à Madrid sera surement différent du dernier ! C’est la magie de la tournée aussi.

Polo : Ça évolue au niveau de l’ordre des chansons, de la tightness, de ce qu’on joue aussi, on essaye toujours de monter en puissance.

Vers quelle destination vous pensiez emmener le public en créant le show ?

Pan : C’est eux qui nous emmènent, c’est nous qui allons les voir ! Particulièrement sur cet album, on veut que ça fasse appel à des choses qui sont personnelles chez les gens. C’est aussi le but de la paréidolie, de l’intuition. Ça fait appel à tes propres souvenirs, on a beaucoup travaillé sur ça, qu’est-ce qu’on peut faire ressentir aux autres ? Plutôt que, quelle histoire on veut narrer. Chacun peut y voir ce qu’il veut, c’est la paréidolie…

"On a besoin des différences de l’un et de l’autre."

Selon vous, qu’est-ce qu’il faut esquiver quand on est un duo ?

Pan : L’individualisme ! Toujours chercher à connecter avec l’autre, et parfois on oublie qu’on est juste différents, qu’il faut savoir respecter ça...

Polo : On a bien évolué entre le premier album où on se disait de toujours regarder dans le même sens, vertueusement. Aujourd’hui on sait que c’est une force de ne pas être d’accord, c’est ça qui fait qu’on fait des meilleurs morceaux, que le live est mieux ! On a besoin l’un de l’autre pour nos différences. Après 10 ans ensemble, on a la maturité de savoir qu’on n’a pas toujours besoin d’être d’accord sur tout, et c’est vrai pour un duo, pour un couple, pour tout…

Pan : C’est de plus en plus dur avec le temps, et en même temps, c’est de plus en plus essentiel. On tombe amoureux parce qu’on est tellement différents et on voit que l’autre amène la complémentarité.

Polo : Sur 10 ans, on n’évolue pas toujours dans le même sens, ni à la même vitesse. Parfois, on se dit : "Mais qu’est-ce qu’il se passe ?", puis parfois on rentre en vibration. L’avantage sur cette phase de création, c’est qu’on a pris une grosse pause, on se posait des questions, et maintenant je sens qu’avec le live, on est raccord. C’est là où on peut s’éclater et où on prend beaucoup de plaisir. On est aussi contents de l’album ! Cette phase de questionnement était importante pour sortir ce disque.

Polo & Pan ©Amit Israeli

C’est ça que vous diriez à Polo & Pan d’il y a 10 ans : accepter les différences ?

Pan : C’était plus facile de les accepter à la genèse du projet. Il y avait une naïveté, une innocence, il n’y avait pas non plus d’enjeux. Personne ne nous attendait…

Polo : On était complètement différents, on n’avait pas d’enfants, pas de femme, on a changé. En revanche, il y a des choses qui nous unissent toujours ! C’est un chemin qu’on fait ensemble, c’est génial, et c’est fait de hauts et de bas.

Pan : Il ne faut pas chercher à retrouver ce qu’on était, comme une sorte d’idéalisation, parce que non seulement tu ne retrouveras pas, mais en plus, ce n’est plus d’actualité. Ça correspond à des milliards de paramètres, une époque, une magie. Il faut juste aller de l’avant, essayer toujours de regarder devant, ou se regarder en face, dans le miroir !

Polo : Pour la première fois on a contemplé nos différences et ça a donné quelque chose dont je suis super fier, avec une super équipe !

"22:22", Polo & Pan, le 28 mars prochain.

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