INTERVIEW
Publié le
23 septembre 2024
Olympe Chabert, c’est l’art du paradoxe. Elle se fait connaître avec ses reprises hip-hop à l’acoustique de Colombine, Vald ou Orelsan. C’est avec un t-shirt de T.Rex qu’elle chante "Le silence", extrait de son premier projet, qui semble s’inscrire dans la pure tradition française. Mais, si vous pensez avoir cerné la jeune artiste, c’est à ce moment que vous devriez douter des apparences de celle qui a été contactée directement sur Instagram par Bigflo & Oli, et celle aussi qui assoit une présence indiscutable dans un Planète Rap en chantant "Sans Amour", à la simple force de sa guitare et de sa voix. Sa musique et son regard artistique, c’est un road trip à l’ancienne. Une voiture, une bonne playlist, ceux qu’on aime et simplement la vie qui vient à vous au grès des kilomètres. Le 27 septembre prochain sort la première partie, de son premier album : Haut les cœurs. A cette occasion, S-quive a rencontré une femme aux paroles aussi mesurées que passionnées. Si ces prémices sonnent déjà comme une belle aventure, c’est à son concert à La Maroquinerie le 17 décembre prochain et au cours de sa tournée en France que l’écoute prendra tout son sens. C’est avec cet élan naturel et cette candeur volontaire, que la chanteuse vous emporte sur ses terres le cœur en étendard.
La première partie de votre premier album sort le 27 septembre prochain. Comment s’est passée la composition ?
Je ne sais pas si on peut dire qu’il n’y a qu’une façon de faire un album. Mais pour moi, ça ne s’est pas fait traditionnellement. J’ai d’abord composé et sorti des titres uniques sans penser à une cohérence. Et, finalement, cette logique est arrivée à moi d’elle-même ; notamment via la chanson "Haut les cœurs" (qui est devenue le nom de l’album). Ce titre synthétise une émotion et une démarche commune à tout ce que j’ai fait jusque-là. Il crée un fil rouge qui conduit naturellement à un album. Ça n’était donc pas prévu ; et c’est tant mieux ! Je trouve ça bien que la naissance du projet se fasse aussi "spontanément". D’autant plus que le faire en deux parties, ça offre l’avantage de préserver le temps de la composition et de la création ; pour proposer un bel objet sincère, et un album véritablement abouti.
Qu’est-ce qu’on ressent de positif et de négatif quand on arrive avec son premier album ?
Des choses positives, évidemment ! C’est passionnant d’écrire constamment, dans la recherche de précision, d’émotions et de sentiments à mettre en son. C’est la meilleure partie de ce métier clairement. Des choses négatives, évidemment ! Parce qu’on passe par de grandes phases de doutes, d’incertitudes, de pages blanches, d’échecs, de sentiment qu’on n’y arrivera pas, de peur de ne pas être compris. S’ajoute, lorsqu’on est dans un label, des comptes à rendre et de s’accorder tant sur un point de vue artistique que commercial. Mais, sur ce point, j’ai la chance incroyable d’être dans un label tenu par deux artistes avant tout qui comprennent, respectent et encouragent complètement l’art.
Qu’est-ce que vous souhaitez pour le public avec ce premier album ?
Si je compare avec ma manière de consommer la musique, il y a beaucoup de premier album qui m’ont énormément marqué, comme par exemple celui d’Orelsan. J’avais pris une sacrée claque aussi avec Vald. Il y a ce quelque chose dans un premier projet où on commence à assumer et mettre en lumière une identité ou plutôt un choix d’identité. On dessine une ligne musicale et textuelle beaucoup plus tangible, à laquelle le public peut s’accrocher ou non. Par rapport à un EP ou un titre, à partir du premier album, on laisse à celui qui écoute la possibilité de nous rencontrer pleinement. C’est un côté « cadeau » sans retour en arrière. J’y étais très réceptive en tant qu’auditrice alors je suis contente de passer enfin par cette étape.
"Ce qui est le plus inspirant chez Bigflo & Oli, c’est de ne rien lâcher dans la priorisation du choix des mots."
Dans vos débuts, vous reprenez uniquement du rap. Pourquoi ce style de musique plutôt qu’un autre ?
D’une part, j’en écoutais pas mal, et je pense que ça s’est un peu imposé à moi avec la cover de Colombine. J’ai eu beaucoup de demandes pour continuer ce concept, parce que les gens ont apprécié ce côté guitare/voix qui offre la possibilité de se recentrer sur le texte, et peut-être sur l’émotion qui veut être transmise à la base.
Bigflo & Oli vous contactent par les réseaux sociaux. Qu’est-ce que vous avez appris d’essentiel auprès d’eux qui ont évolué dans le rap, mais qui touchent tout le monde ?
Je pense qu’ils ont avant tout réussi à grandir avec leur public parce qu’ils n’ont pas eu peur de tester, de prendre des risques, de prendre du plaisir tout en restant fidèle à ce qu’ils sont. Ce qui est le plus inspirant chez eux, c’est de ne rien lâcher dans la priorisation du choix des mots. Ils ont toujours pris soin de leur phrasé, de l’histoire, de la manière de raconter, de ne pas faiblir sur leur plume. Que tu sois dans un titre hip-hop ou plus pop, chez Bigflo & Oli, tu as toujours l’excellence des paroles pour t’emmener partout, et tu sens que c’est naturel et sincère, alors tu acceptes de te laisser guider. C’est réellement "rap" de se baser sur le texte avant tout, même si ton instru, c’est un truc pourri que tu as trouvé sur YouTube !
Vous avez fait un Planète Rap avec eux. Quel est votre souvenir le plus marquant de cette institution du rap français ?
Mon souvenir, c’est que j’étais terriblement stressée ! [Rires] J’arrivais dans cette institution pour ne pas faire de rap du tout. Donc, j’étais très concentrée à offrir une belle performance et faire honneur à Bigflo & Oli qui m’ont énormément soutenu, porté et considéré comme légitime. J’ai senti une émotion très spéciale, qui a nourri la mienne. Ça a donné une atmosphère spéciale. C’était un beau moment !
Le paradoxe est une chose qui vous plaît, puisqu’aujourd’hui vous proposez dans votre album un style musical éclectique et sans barrières. Pourquoi ce choix ?
Je n’ai pas l’impression que c’était un choix. D’une part, je n’ai pas de style de prédilection. D’autre part, j’ai appris et exploré plusieurs manières, très différentes, de chanter et d’utiliser ma voix. Sur cette première partie d’album, je me suis laissée porter par mes explorations et mes envies. J’ai également travaillé avec plusieurs personnes, et avec chacune, leur vision et leur art, ce qui crée un projet éclectique et riche. Bien que je comprenne que ça puisse perdre le public de ne pas avoir un cadre plus évident, et qu’on se demande ce que je fais finalement. Mais, je pense que ça n’apporte pas que du bon de se mettre dans une case par crainte d’incompréhension. D’autant plus, qu’il y a ce fil conducteur émotionnel et naturel, qu’on évoquait plus tôt. On trouve aussi une cohérence dans ma manière d’écrire à travers tous les titres. Tout ça offre, à mon avis, ce qu’il faut pour m’identifier et se raccrocher à une personnalité artistique et musicale.
"De l’époque 1990-2000, on a le sentiment qu’il y avait une liberté qui nous manque aujourd’hui. C’est une sorte de fantasme de l’absence de règles, une désobéissance générale, une émergence d’énormément de styles musicaux."
Dans "Bad Boy malheureux", il y a une esthétique très nostalgique dans l’air du temps, à savoir la fin 1990 et le début 2000. Pourquoi cette époque fascine-t-elle autant selon vous ?
J’ai le sentiment qu’il y a un côté rebelle qui se dégage de cette époque. Un côté trash dans l’esthétique qui parle complètement à la nouvelle génération. On a vécu beaucoup de restrictions, d’interdits, de craintes pour l’avenir, d’une société qui a énormément changé avec le Covid. Notre entrée dans l’âge adulte était plutôt dans la frustration. De cette époque, on a le sentiment qu’il y avait une liberté qui nous manque aujourd’hui. C’est une sorte de fantasme de l’absence de règles, une désobéissance générale, une émergence d’énormément de styles musicaux. Alors qu’en réalité, cette époque a aussi son lot d’événements difficiles et des sentiments similaires. Mais musicalement, on essaie de tirer un imaginaire positif pour alimenter un mouvement positif dans notre époque.
Un de vos premiers titres s’appelle "Sans Amour". C’est quoi l’amour ?
Si je me base sur ma chanson, c’est quelque chose qui va au-delà de la vision romantique. C’est le socle que tu ressens dans l’amour familial, avec les amis. Cette base rassurante qui nous rattache à l’existence. Je pense que c’est l’action numéro une, et ce, dont il faut prendre soin chaque jour. Alors bien entendu, c’est plus une vision de la vraie vie, mais quand on écoute de la musique rien n’empêche de ressentir cet amour avec un grand A.
Beaucoup de médias tentent de définir avec toujours plus de nouveaux mots votre génération. Dans "Sans Amour", vous dites : "Je veux juste rendre vos parents fiers". Finalement, est-ce que c’est ça que toutes les générations cherchent ?
Bien entendu ! Je suis certaine que c’est ce que toute génération cherche. Mais je pense aussi que c’est un sentiment qui peut rapidement faire trop "sage". Par exemple, dans le rock, ce n’est pas un aspect que tu vas mettre en évidence. Il fallait montrer ce côté anti-bourgeoise, rébellion contre la famille pour être, entre guillemets, "validée". Avec le hip-hop, ça a fait évoluer les mentalités. Dans cette culture, on veut protéger sa famille, prendre soin d’elle, passer du temps avec elle. Rien que "Dear Mama" de Tupac, a ouvert la voie et les esprits. Ce qui fait qu’aujourd’hui, on ose assumer ces sentiments. Je dirais même plus, que ça devient presque normal ; parce qu’évidemment, on veut que nos parents soient fiers, les remercier de ce qu’ils ont fait pour nous et leur rendre ce qu’ils nous ont donné.
Nous parlions de paradoxe. Vous faites du rap sans vous définir rappeuse, vous portez un t-shirt T.Rex pour chanter un titre dans la pure chanson française, votre écriture oscille entre les pop et slam et vous êtes fascinée par Marylin Monroe. Le paradoxe, c’est un trait de personnalité ou une décision intime ?
C’est quelque chose qui arrive avec le temps, et comme ça. Ma chanson préférée, c’est "Cosmic Dancer" de T.Rex. J’ai eu une obsession pour Monroe plus jeune, que je trouve toujours géniale encore aujourd’hui, qui m’inspire énormément ; sans pour autant que je veuille chanter comme elle ! Il ne faut pas exagérer ! [Rires] Parfois, quand j’écris, je sais que je veux proposer une forme plus rappée, plus slamée ou plus chantée. Parfois, les trois en même temps, alors je laisse la spontanéité m’envahir et je pose un peu comme ça vient. Je pense qu’il faut préserver de la naïveté dans ce qu’on fait, dans notre regard et dans notre réflexion sur le monde. C’est un terme avec des connotations péjoratives. Mais en réalité, cette approche permet de passer du calme de Vald à Joe Dassin dans sa playlist. On préserve un esprit ouvert où on absorbe tout. Quand ça sort dans ta musique, ça offre une richesse aux grès des envies ; qui donne un beau bazar… et ça c’est génial, je pense. Ça met en mouvement ton art et nos vies à tous.
"Il y a quelque chose de vertigineux dans la musique : quelqu’un pense à une mélodie et elle peut se retrouver dans les maisons du monde entier."
Vous, qui semblez embrasser toute la musique. C’est quoi la musique, à votre avis ?
C’est tellement dur comme question ! Je vais répondre avec ma manière intime de la consommer et l’histoire que je vis avec elle. Je pense que c’est avant tout du plaisir. C’est ce qui répond toujours à ce que j’ai besoin, et ce, peu importe quelles émotions je ressens. La sensation quand je chante, je ne la retrouve nulle part ailleurs. Le bonheur de création, le bonheur de la rencontre à travers ce média. Il y a quelque chose de vertigineux dans la musique : quelqu’un pense à une mélodie et elle peut se retrouver dans les maisons du monde entier. Bien que cela soit toujours la même chanson, elle sera unique à chacun qui l’écoute. Et ce voyage que ce titre va faire, c’est extraordinaire. Mais le plus beau, c’est que si ta chanson ne parle, ne serait-ce qu’à une seule personne qui va l’écouter toute sa vie, et bien c’est cette même émotion de joie intense que tu vas ressentir. Parce que ça y est, à ce moment, ce que tu as créé devient quelque chose, ça vit.
Olympe Chabert sera à La Maroquinerie le 17 décembre prochain.
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