INTERVIEW
Publié le
26 octobre 2022
Si l'humain est au coeur de sa démarche artistique, c'est dans les rues parisiennes que le photographe de "street style", Meyabe, exprime au mieux l'art de la photo volée. De la mannequin argentine Mica Argañaraz aux silhouettes anonymes qui errent dans la capitale, des émotions, des gestes, des attitudes sont immortalisés par sa caméra au fil des fashion week et de ses rencontres. Exposés à 0fr. Paris jusqu'au 30 octobre prochain, 1000 de ses clichés, accessibles au public, habillent le mur de la librairie. Un projet en adéquation avec la sortie de son livre Life in Paris et de ses valeurs de partage.
Votre livre photographique Life in Paris dévoile 235 images réalisées entre 2016 et 2022. Comment les avez-vous choisies ?
Le cahier des charges du projet était de montrer Paris par le prisme de plusieurs photographes à la base, puis au fil du temps il y a eu une décision de ne miser que sur mes photographies. Une grande responsabilité mais étant donné que j’avais énormément de matière, entre mes clichés du quotidien et mes archives des fashion week, l’équilibre était possible et cohérent. J’ai dû faire parvenir plus de 3000 photos présélectionnées (sur plus de 50 000 clichés) à Magnus Naddermier qui a fait le travail de la sélection en deux mois environs, entre la Suède et d’autres lieux. Cela permet d’avoir un œil différent sur mes clichés et surtout, cela m’a permis de prendre du recul sur ma quantité de photos. Par la suite il m’a présenté la mise en page sur les covers, et tout s’est déroulé assez naturellement, je n’ai pas eu grand-chose à corriger.
Si l’on se fie au titre, ces clichés symbolisent l’énergie parisienne de cette période ?
Il s’agit d’une chronique de mon quotidien de photographe dans la ville. Cette énergie se matérialise plus dans un premier temps par ses habitants, les attitudes comptent beaucoup. L’architecture de la ville est aussi un facteur important. Paris est plus qu’une ville, on peut considérer son territoire comme un pays car dans mon parcours je n’y arpente qu’une faible partie. Même si on a cette chance de pouvoir être dans énormément de quartiers tous différents, j’ai mes habitudes, ce qui, je pense, me permet d’avoir une énergie qui correspond à ce que je souhaite dévoiler de ce morceau de la ville.
"Avec SS23, je souhaite montrer un autre point de vue de la semaine de la mode."
Le directeur artistique Magnus Naddermier vous a accompagné dans son élaboration. Que souhaitiez-vous transmettre avec cette édition ?
Autre chose que la vision carte postale habituelle. Je voulais montrer des gens dans un quotidien, des styles, transmettre de l’émotion. Que les lecteur(trice)s puissent s’évader un moment et se reconnaître par des gestes ou se laisser aller dans leur imagination, lorsque je photographie des personnes de dos par exemple. J’aime l’idée du mouvement, que rien n’est figé. Comme la vie, comme la ville de Paris. Je voulais aussi me présenter à travers mes photos, montrer qui j’étais, affirmer un des traits de ma personnalité, inconsciemment sans doute.
Vous exposez vos photographies chez 0fr. (Paris IIIe) avec un concept original : plusieurs centaines de vos images sont affichées au mur permettant au public de les observer, de les choisir et de décrocher celles qu’il souhaite acheter. C’est une façon que chacun puisse avoir une pièce de votre travail ?
L’exposition SS23 s’est réalisée très spontanément. La dernière semaine de la mode à Paris a été très intense. J’ai pris plus de 12 000 photos. En évoquant cela à Alexandre Thumerelle, co-fondateur de 0fr. Paris avec sa sœur Marie Thumerelle, lors d’une discussion anodine sur le bilan de la semaine, il a suggéré qu’il serait intéressant de faire un livre sur la fashion week parisienne, sur la période de juin dernier à début 2023. Dans cette même conversation, Alexandre a émis l’idée d’une exposition avec mes images récentes afin d’être dans une actualité proche. J’ai proposé de mettre 1000 photos sur un mur et le lendemain Alexandre lance la date du 17 octobre sur Instagram sans que je ne le sache. J’étais très excité. Avec SS23, je souhaite montrer un autre point de vue de la semaine de la mode. Montrer ce qui se passe dans ma tête comme photographe : le terrain, avoir l’œil partout, faire preuve de réactivité, prendre des décisions le plus rapidement possible, montrer ce qui peut m’émouvoir, partager des choses importantes à mes yeux… Je souhaite créer des souvenirs simples toujours dans mon idée du mouvement de la vie. Un cœur ne s’arrête jamais de battre sinon il meurt. Je tente de l’appliquer dans ce que je photographie. Sur ce mur de plus de 1000 œuvres signées et en tirage unique, je souhaite créer une expérience nouvelle pour les visiteurs de la galerie. Chacun d’entre nous a une sensibilité à l’image, en les laissant saisir leur photo, je veux créer un rapport physique et transférer ce que j’ai pu faire pour obtenir un cliché. Courir, bouger, me pencher, regarder en l’air… Toutes ces actions qui m’ont permis d’obtenir un résultat. Comme dans la vie, si on veut quelque chose, on doit saisir les opportunités. Ne pas être attentiste. Je prends beaucoup de plaisir à voir la réaction des gens à la vue du mur. La photographie en main amène au dialogue. Je veux aussi transmettre mon addiction à l’image, je veux les rendre accroc, leur faire sortir d’une zone de confort. Qu’il pense à ce mur et qu’ils reviennent. Il est important que cette exposition puisse créer un souvenir, une image gravée.
De Natalia Vodianova à Mica Argañaraz, en passant par Mariam de Vinzelle… Durant la fashion week, vous capturez des visages, des profils et des attitudes de nombreuses mannequins adulées dans le monde de la mode. Attraper des moments volés à des reines de la pose, est-ce ce qui est le plus difficile dans la photographie "street style" ?
Il est très important de se comporter le plus naturellement avec les modèles qui sont avant tout des êtres. Mon comportement ne change pas selon le niveau de notoriété. Les modèles nous donnent énormément malgré la cadence des défilés. C’est à moi d’en profiter et de photographier la quintessence de ce qu’elle me donne tout en restant bienveillant. Je ne les connais pas plus que ça mais à force tu te fais remarquer à travers ton travail et c’est plaisant. Pour exemple, Mica qui est dans mon livre Life in Paris : les deux clichés d’elle ont été pris un jour en dehors de la fashion week. Elle se promenait avec son chien et j’ai improvisé, en une minute, une situation à Rambuteau. Elle a joué le jeu et j’ai adoré. Quand je l’ai croisé dans le quartier proche de 0fr. Paris, j’en ai profité pour lui présenter le livre et je lui ai offert. L’échange est très important je trouve. J’ai offert récemment des clichés de Mariam en compagnie de son père (sortie du défilé Chanel cet été) qui a été très émue. Des réactions comme celles-ci, ça n'a pas de prix.
"Depuis toujours, j'ai une hypersensibilité au mouvement."
A ce propos, il y a quelques années, vous aviez réalisé une série baptisée No Flash pour dénoncer le matraquage des flashs instaurés par les photographes à la sortie des défilés de la fashion week…
Oui, il s’agissait de ma première exposition photo. Elle m’a permis de poser les bases de ce que je ne souhaitais pas faire dans ma démarche artistique et humaine. Le No flash s’est imposé en moi et j’en ai fait une signature visuelle. Graphiquement c’est assez fort, proportionnellement au mal que cela engendre sur les sujets qui ne font que subir avec le sourire par (mauvaises) habitudes, que ce soit de jour comme de nuit.
Vous vous attachez aussi aux silhouettes de rue, autrement dit aux anonymes. Quels sont les détails qui attirent votre attention ?
C’est un tout : un geste, une respiration, un look, un regard. Depuis toujours, j’ai une hypersensibilité au mouvement. Tout geste dégage un son en moi, c’est assez fatiguant parfois mais c’est en moi, donc j’ai pu dompter à travers la photographie. Cela décuple mon sens de l’observation comme un sonar. Je ne fais que répondre en image à ce que le mouvement demande.
"Si je devais citer un artiste qui m'a donné envie de faire ce métier, je dirais Peter Lindbergh incontestablement. Il m’a éveillé à mettre l’humain au centre de tout avant toute autre démarche."
Vous êtes photographe autodidacte. Quels artistes vous ont donné envie de vous lancer dans ce métier ?
J’ai été formé à l’écriture de scénario de base, je suis un fou de cinéma. C’est assez complémentaire de ma pratique. J’ai une fascination totale aussi pour Jacques Audiard et notamment pour le film De battre mon cœur s’est arrêté que j’ai dû, sans exagérer, visionner plus de 1500 fois, une vraie obsession. Si je devais citer un artiste qui m'a donné envie de faire ce métier, je dirais Peter Lindbergh incontestablement. Il m’a éveillé à mettre l’humain au centre de tout avant toute autre démarche. Quand je regarde son travail, je suis ailleurs, apaisé, une émotion particulière me prend au corps.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune passionné de photos qui souhaite se lancer dans le milieu du "street style" ?
Le meilleur conseil c’est de ne pas vraiment en donner car la photographie est la liberté, donc on doit faire ce que l’on veut. Il suffit juste d’avoir une vision.
D’ailleurs, ce secteur a-t-il évolué ces dernières années ? De quelles manières ?
Oui, de par la démocratisation des appareils photos mais surtout par la force des réseaux sociaux qui poussent à ne plus prendre son temps. Je trouve que la démarche artistique est plutôt de haut niveau en termes de proposition. La polyvalence et la maturité d’un photographe comme Chac Alexandre est assez significative de ce changement. Un Goldie Williams, avec qui j’échange parfois, amène à ce que l’on tente d’élever à notre niveau. La photographie à une dimension proche de la peinture.
Préparez-vous déjà un futur projet ? Dans quels coins parisiens pourrons-nous vous retrouver prochainement, vous et votre appareil photo ?
En plus du prochain livre en 2023 avec Magnus Naddermier à la DA, je travaille sur un livre de portraits sur une thématique particulière : celle de la vérité de l’âme. Je suis en pleine écriture et casting du projet. On me retrouve partout et nulle part à la fois, je n’existe pas vraiment.
L'exposition "SS23" à découvrir chez 0fr. Paris (IIIe) jusqu'au 30 octobre prochain.
Plus d'articles