INTERVIEW

Lord Esperanza : "Ce qui me touche, c’est de pouvoir parler de mes histoires et que ça résonne chez les gens."

Publié le

22 juillet 2024

Après son album Phoenix, sorti l’année dernière, le rappeur Lord Esperanza revient sur la scène musicale avec Atlas, son nouvel EP. L’artiste français qui esquive souvent les mondanités se livre avec franchise sur ses nouvelles aspirations musicales. Raconter l’amour de soi, la rupture amoureuse, avec une imagerie audacieuse, et un duo avec la chanteuse Leslie Medina sont autant d’expériences auxquelles Théodore Desprez, de son vrai nom, a décidé de s’aventurer. S-quive est allé à sa rencontre à l’hôtel The Hoxton (Paris IIe) pour revenir sur l’histoire d’Atlas avec cette mise à nu volontaire mais aussi ce nouveau tournant artistique.

Lord Esperanza ©Dario Holtz

Présentez-vous !

Je m’appelle Théodore Desprez et je fais du son sous le nom de Lord Esperanza. Je viens de sortir un nouvel EP : Atlas et j’ai une tournée à la rentrée.

Votre nouvel EP Atlas est sorti le 12 juillet dernier, pourquoi ce titre ?

J’ai nommé cet EP ainsi pour trois raisons différentes. Atlas, c’est d’abord le nom de la rue dans laquelle j’ai grandi dans le 19e arrondissement de Paris. Je fais aussi référence à la mythologie grecque avec le personnage Atlas, celui qui est condamné à porter le monde. Emotionnellement, en tant qu’humain et en tant qu’artiste, par essence, j’ai l’impression que l’on est sans cesse en train de porter nos mondes avec nos soucis, nos névroses, nos angoisses, mais aussi nos joies et nos beaux moments. Je trouvais l’image jolie, imaginer qu’on a tous ce bagage qu’on essaye de porter le plus haut possible pour le sublimer et le transformer. La troisième raison, c’est une référence à Phoenix, mon précédent album. J’aimais l’idée que l’oiseau de feu renaissant de ses cendres se transforme en quelque chose de minéral et devienne petit à petit une chaine de montagnes, d’où la pochette d’Atlas.

Vous évoquez plusieurs thèmes personnels comme l’amour de soi, la rupture amoureuse mais aussi l’impact sur soi de la violence du monde omniprésente, pourquoi cette mise à nu ?

Pourquoi pas ! C’est une bonne question ! Je me suis rendu compte que je m’ennuyais un peu dans le rap et que mes anciens morceaux vieillissaient mal. Je prends beaucoup plus de plaisir à créer des sons avec des mélodies et des textes plus sincères. Je me sens plus en phase avec ça même si c’est plus clivant et moins dans l’air du temps. D’après les témoignages que je reçois ça plaît. Bien sûr, certaines personnes qui sont habituées à des sons plus rap peuvent moins apprécier. Cependant, je pense qu’il y a une belle image dans ces avis variés. Pour reprendre ce qu’a dit le manager de Vlad : "Une carrière, c’est comme un train, il y a des gens qui montent et d’autres qui descendent mais il y a des gens qui sont descendus et d’autres qui sont montés". Je m’estime déjà chanceux de vivre de ma passion depuis maintenant 7 ans. Avoir une audience qui me suit autant c’est précieux, je suis très reconnaissant.

Dans le titre "Very Bad Trip", vous racontez un épisode de "bad trip", une sensation d’angoisse, face au trop-plein d’informations avec les notifications constantes et les actualités déprimantes, quel est le message que vous cherchez à faire passer ?

Je voulais essayer d’apporter de la légèreté. C’est un morceau pop entêtant avec un refrain catchy. Je me suis assez inspiré du groupe de rock Tame Impala. Quand je l’ai joué en exclusivité, avant qu’il ne sorte, les gens ont directement eu le refrain en tête. "Very Bad Trip" c’est aussi un son où je dénonce, à travers les paroles, des sujets graves. Ça donne des couplets intenses et violents : "Des filles de 14 ans suivies par des hommes de quarante-trois / Et des gourous te faire miroiter qu’ils peuvent te faire croire en toi". Les couplets sont un peu des fourre-tout où je peux parler d’harcèlement, de pédo-criminalité ou encore du réchauffement climatique. C’est l’occasion de passer un message qui me semble important en gardant une légèreté contrairement à ce qu’on peut voir dans le rap de manière générale.

"On a pas mal échangé avec Leslie Medina puis on s’est retrouvés en studio par hasard dans le sud de la France où j’avais commencé le morceau avec Nino Vella, et ça a donné ‘Amertume’."

Vous avez eu l’occasion de collaborer avec Leslie Medina dans le titre "Amertume", comment s’est passé cette rencontre ?

C’est une artiste que j’ai découvert il y a plusieurs années. Je suis fan d’elle depuis longtemps. J’ai suivi son évolution artistique et j’ai toujours été touché par l’artiste qu’elle est. C’est une autrice-compositrice-interprète puissante et inspirante. C’est une artiste féminine exemplaire et c’est important parce que je trouve que ce genre de modèle est encore rare dans notre industrie. Elle est aussi comédienne, récemment elle a joué dans la série Netflix Fiasco avec Pierre Niney et François Civil. C’est un profil très pluriel ce que je trouve très inspirant. En 2019, lorsque j’ai fait le Bataclan je lui avais déjà proposé de faire un morceau. On a pas mal échangé puis on s’est retrouvés en studio par hasard dans le sud de la France. J’avais commencé le morceau avec Nino Vella, elle nous a rejoint et ça a donné "Amertume". On a eu l’occasion de défendre le morceau sur scène en exclusivité au Trianon. A la rentrée, sur sa tournée ou la mienne, il y aura des moments où on se retrouvera pour la chanter. En tout cas, les retours sont bons, les gens apprécient. Je trouve que la chanson fluctue avec les autres. Finalement, c’est l’une des plus facile à réécouter car elle est douce et on s’en lasse moins.

Le clip du titre "Différent" a été filmé en live au Trianon aux côtés de vos fans, d’où vous est venue cette idée ?

Je me suis dit que j’avais vraiment envie d’immortaliser ce moment, d’en garder un souvenir éternel. J’avais déjà vu des artistes le faire et je me suis dit que c’était une bonne idée. C’était incroyable. On a rejoué deux fois le morceau pendant le concert. Ce qui m’a marqué, ce sont les gens qui retiennent le refrain facilement après une première écoute. Je les avais briffés en amont, on le voit notamment au début du clip vidéo. Ils ont été très disciplinés, ça s’est vraiment bien passé. Je trouve ça génial comme concept parce que ça leur donne un sentiment d’exclusivité et c’est aussi une manière pour moi de les remercier de leur présence et leur soutient. Certains font des kilomètres, traversent la France pour venir me voir et ça me bouleverse. Ces gens-là me permettent de véhiculer ma musique et de faire vivre mon projet. Je suis très reconnaissant, c’est cher à mes yeux. Ce n’est pas parce qu’on est soutenu depuis longtemps qu’il faut le dénigrer, au contraire, plus ça dure, plus c’est précieux. C’était la première fois que je faisais un clip musical comme celui-ci et ça ne sera peut-être pas la dernière.

Lord Esperanza ©Dario Holtz

Qu’est-ce que vous esquivez dans la musique ? Et dans la vie ?

Plein de choses. J’essaye d’esquiver les mondanités. Je n’aime pas trop les évènements dans le milieu, je me sens souvent mal à l’aise. Parfois, on est obligé, notamment quand on sort des projets. Lorsqu’on sort un EP, on fait une release party, c’est obligatoire. Je suis vite mal à l’aise quand c’est Instagram dans la vraie vie. Ces évènements créent beaucoup de small talks, de moments où on brise la glace et on finit par tourner en rond. Socialement, je suis plus nourri par des interactions plus profondes où on peut se parler de manière plus authentique. Dans la vie, j’esquive les conflits. Je trouve ça agaçant, ça me remue beaucoup sûrement parce que je suis assez sensible. Je n’aime pas ça, j’essaye de les repousser de tout faire pour qu’ils n’aient pas lieux. Parfois, c’est inévitable parce qu’on est des miroirs les uns pour les autres, on se renvoie nos émotions. Pour les éviter, il faut être conscient de sa parole. Ça me fait penser à l’expression "tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler", c’est complètement ça.

"Ce qui me touche, c’est de pouvoir parler de mes histoires et que ça résonne chez les gens."

Dans les clips musicaux des titres "Amertume" et "Very Bad Trip" se dégage une nouvelle fibre artistique, pourquoi un tel changement ?

C’est vrai, en particulier dans le clip de "Very Bad Trip" qui est assez absurde. Celui d’"Amertume" est plus poétique, les plans sont construits comme des tableaux. Dans le clip de "Very Bad Trip", je m’évanouis dans des positions loufoques. Je suis acculé par les notifications donc je perds connaissance. J’aimais l’idée de changer d’image et d’avoir quelque chose de plus mode avec des looks plus travaillés, précis et pointilleux. J’ai toujours aimé la mode, moi-même je travaille mes looks. Bon, là c’est un peu plus compliqué vu la chaleur ! [Rires]. En général, j’aime être apprêté. Tout le clip a été filmé à la pellicule, ce qui rajoute un grain. Ces deux clips sont le résultat du travail des frères Canonne avec qui j’avais déjà travaillé sur mon album précédent. Je les trouve brillants et je leur fais vraiment confiance. Par le passé, j’ai été très impliqué dans l’image quitte à vouloir tout contrôler. Aujourd’hui, je ne fais pas seulement de la musique, ce qui me permet de mettre plus de distance émotionnelle et d’être moins dans un contrôle névrotique. J’aime toujours être impliqué donc je ne ferme pas les yeux et je cherche le challenge. Je trouve ça quand même super de pouvoir lâcher prise.

Pensez-vous réaliser d’autres projets musicaux aussi personnel ?

C’est une bonne question. C’est vrai que je me livre pas mal à travers les paroles. Ce qui me touche, c’est de pouvoir parler de mes histoires et que ça résonne chez les gens, qu’ils les aient vécues ou pas d’ailleurs. C’est ce qui est beau et très précieux avec la poésie et la musique en général. On est jamais vraiment maître de l’impact que ça va avoir sur l’autre. Ça permet de se laisser un peu porter. Lorsqu’on veut trop définir un cadre, ça peut limiter les gens qui vont recevoir l’œuvre et qui n’ont pas forcément la capacité de projection idéale. Les interprétations des gens peuvent parfois créer d’autres visions différentes de celles que j’avais en tête à l’origine. "Very Bad Trip", par exemple, parle de convictions personnelles mais elle est aussi plus descriptive. Aujourd’hui, je me challenge dans la création d’une musique feel good qui ne soit ni trop personnelle ni trop superficielle.

Allez-vous partir en tournée à l’occasion de ce nouvel EP ?

Bien sûr, une tournée est prévue pour début 2025 avec une vingtaine de dates. Mon ancienne tournée s’est finie en décembre, ça fera un an que je n’aurais pas revu mes fans, j’ai hâte. Les tournées sont parfois fatigantes mais pouvoir voir ses chansons prendre forme et finalement prendre tout leur sens, c’est une super récompense. Je suis content aussi de ne pas dépendre que de la musique aujourd’hui, ça m’apporte un équilibre mental. C’est hyper valorisant de pouvoir sortir de mon métier principal. Je ne pensais pas pouvoir le faire jusqu’ici. C’est grâce à mon dernier album qui m’a vraiment ouvert des portes vers de nouveaux horizons.

Lord Esperanza ©Dario Holtz

"Atlas", le nouvel EP de Lord Esperanza sortira le 12 juillet prochain avant une tournée prévue pour début 2025.

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