CINÉMA

“Les damnés ne pleurent pas” : des routes et l'impossible

Publié le

9 août 2023

Le réalisateur britannique Fyzal Boulifa retourne au pays de ses origines pour explorer la filiation d'une mère et de son fils à la poursuite du bonheur, traversant un tissu de mensonges dans un Maroc incandescent.

Présenté lors de la Semaine de la critique à Venise, Les damnés ne pleurent pas questionne de manière intime, poignante voire tragique la relation entre une mère et son fils dans un Maroc en tension. Après le psychodrame social Lynn + Lycy (2020) tourné dans un quartier résidentiel de l’Essex, le deuxième long-métrage du réalisateur britannico-marocain Fyzal Boulifa nous embarque sur les routes du Maroc et met en scène un nouveau duo d’acteurs aux débuts prometteurs.

Fatima-Zahra (fabuleuse Aïcha Tebbae) élève seule son fils de 17 ans, Selim (Adbellah El Hajjouji). Fusionnel et tourmenté, le duo voyage de villes en villes en espérant un jour trouver la paix et laisser les scandales derrière eux. Semé d’embûches, leur périple laisse cependant au spectateur le privilège de découvrir des cités modernes et poétiques, et au réalisateur celui d’afficher sans complexe les multiples facettes de ce pays. On y retrouve le monde de la nuit, des endroits désertiques, des quartiers atrocement pauvres ainsi que des lieux suintant le luxe, a priori hors d’atteinte pour ces deux marginaux.

Être dans le paraître

La vanité de Fatima-Zahra s’affiche d’emblée. Sacs de luxe contrefaits, rouge à lèvres et grosses lunettes de soleil font partie de son apparat quotidien. Ces accessoires semblent l’aider à affronter la précarité qu’elle endure tous les jours et à affirmer sa féminité malgré les critiques de ses proches. Comme ses vêtements, Fatima-Zahra est dans le mensonge, elle ment à son fils sur son père et sur le fait qu’elle aurait trouvé un travail. Son caractère prétentieux se confirme lorsqu’elle rend visite à sa famille. Austère, pieux et modestement vêtus, ils sont en totale contradiction avec elle, critiquant son originalité et son goût assumé pour la mode. Fatima-Zahra ne semble trouver sa place nulle part. Même lorsque celle-ci pensera trouver l’amour, ce sera finalement un échec. Le seul lien solide qu’elle a est celui qu’elle entretient avec son fils.

les damnés ne pleurent pas
Abdellah El Hajjouji et Antoine Reinartz © New story

Errance à Tanger

Débrouillard et discret, Selim est l’opposé de sa mère. Dès le début du film, on sait qu’il travaille pour son foyer. Mais son manque d’éducation, souligné par sa mère, le rattrape alors qu’il tente de lire un SMS. En filmant des personnages issus de milieux défavorisés, le réalisateur montre que leurs difficultés sont inhérentes, même lorsque ceux-ci gravitent dans les milieux mondains de métropoles comme Tanger. Quand Selim découvre la vérité sur sa filiation et que toute sa vie est basée sur un mensonge, il quitte son rôle de fils protecteur pour emboiter le pas de sa mère, tombant dans la prostitution et amoureux de Sébastien, un riche Français (Antoine Reinartz) propriétaire d’un riad dans la Médina. L’acteur avait reçu le César du meilleur acteur dans un second rôle pour 120 battements par minute (2018), également axé sur le milieu gay. Après la galère, le faste. Malgré sa colère, Selim ne parlera jamais à sa mère de sa nouvelle "activité". Ces sujets restent tabous. La mère et le fils se mentent constamment, droit dans les yeux, si bien que l’on pourrait y croire.

Vivre en marge de la société à deux, à jamais

Malgré leurs rencontres respectives, la mère et le fils semblent toujours liés. Leur relation est comme renforcée à travers les échecs. L’amour à sens unique que porte Selim au "Chrétien" échoue et le mariage que Fatima-Zahra attendait depuis tant d’années n’aura jamais lieu. Ce film montre l’importance des liens familiaux qui maintiennent en vie sans faire l'impasse sur la tension coloniale. Dans la diversité des plans moyens qui mettent en valeur la splendeur et l'énergie du Maroc, destination qui semble toujours éveillée, les personnages apparaissent toujours chargés, trimballant leur fardeau. Jusqu’à la dernière minute du film, le couple mère-fils dégage une émotion féroce qui ne peut les quitter : celui du désir de liberté.

En salles.

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