CINÉMA

L’Amérique sauvage d’un Cyclope à Bic

Publié le

15 novembre 2022

La mythique salle du Grand Rex (Paris IIème), a accueilli mardi 8 novembre une soirée événement en l’honneur du succès de Seule la terre est éternelle, film documentaire réalisé par François Busnel et Adrien Soland. Retour sur cet hommage à Jim Harrison, dont l’œuvre n’a cessé d’exalter la beauté sauvage de l’Ouest américain.

Avec les "Carnets de route", la collection de revues "America", ou la place de choix accordée aux auteurs américains dans "La Grande Librairie", la sincérité avec laquelle François Busnel se fascine pour les États-Unis ne fait plus de doute. De Jim Fergus à Louise Erdrich, en passant par Paul Auster ou Cormac McCarthy, le gourmet littéraire s’est entretenu avec les plus grandes plumes américaines, afin de dresser un portrait au vitriol d’un pays aussi fantasmé que fracturé. Au tour maintenant de « Seule la Terre est éternelle »(proverbe Sioux-lakota), de consacrer l’immortalité de Jim Harrison, auteur disparu de Légendes d’Automne (1994), Chien Brun, Dalva (1988), ou Un bon jour pour mourir (1973).

 

C’est au cours de séances de pêche dans le Montana, à l’image de celles des frères Maclean dans Et au milieu coule une rivière (Robert Redford, 1992), qu’a fleuri l’amitié entre le "cyclope" Jim Harrison et François Busnel. Le journaliste implorait le romancier de tourner un film biographique. Soufflé entre la fumée de mille cigarettes, le refus catégorique du premier créa la frustration du deuxième sur plus de cinq ans. Mais lorsque Busnel, sous l’impulsion de son meilleur ami et producteur Adrien Soland, proposa à Big Jim de faire un film non pas sur lui, mais avec lui, l’heure du tournage sonna. C’est ainsi qu’est né le film, véritable rencontre avec "un grand vivant dans une époque où il est difficile de vivre mieux."

Jim Harrison © Nour Films

Bien absent de la dimension parfois clinquante que l’on peut attribuer à la traditionnelle success story américaine, Seule la terre est éternelle est un documentaire à l’image de son humble sujet. L’image n’a même pas encore envahit l’écran que le souffle lourd de Jim scinde l’atmosphère, tel un battement cardiaque qui donnera le rythme du film. Dans une mise en scène intimiste, la caméra s’approche d’un visage marqué par le temps, suit les mouvements lents et clopinant d’un vieil homme qui semble avoir tout vécu. Elle ne cherche pas non plus à lisser une personnalité authentique, à la bouche édentée et au crâne parsemé de cheveux hirsutes.

 

À la place, elle s’invite à un apéro au beau milieu de nulle part, là où seule la puissance du silence rivalise avec les mélodies de Willy Nelson ou de Janis Joplin. S’implante devant une caravane chromée, garée derrière une chaise dépliable. Au-delà du champ, des chiens bondissent derrière la clôture, dans un décor irréfléchi dont l’aplomb témoigne du bonheur des choses simples. Cette même caméra s’invite jusque dans la joyeuse cuisine de Jim, où il était interdit de "manger la même chose deux fois par an", elle est le témoin de moments de complicité entre Harrison et deux réalisateurs qui ne se dévoilent jamais.

François Busnel et Adrien Soland © Nour Films

Pas de risque qu'Harrison se retourne dans sa tombe : Seule la terre est éternelle n’est pas un déroulé sentimentaliste des tragédies de sa vie – comme cette agression qui lui a valu cet œil de verre en étant gamin, ou la mort de son père et de sa sœur à l’âge adolescent dans un accident de voiture. Cet enfant du Midwest a fait de sa résidence du Montana une demeure à souvenirs – et c’est sur ses objets qu’il préfère revenir. Les reliques ensorcelantes de sa vie – un crâne de bison, des masques de loup, une photo de Rimbaud, de Pablo Neruda ou de sa femme Linda, illustrent à leur manière la richesse d’une âme en quête de beauté et de sens. Plus qu’un simple portrait d’écrivain, sur les routes ondulantes de chaleur, le documentaire finit aussi par s’appesantir sur des épisodes sanglants de l’histoire américaine. Dans un passage particulièrement bouleversant sur le Massacre de Wounded Knee en décembre 1890, dans l’Ohio, le spectateur comprend toute la force du titre du film.

 "J’ai appris qu’on ne peut pas comprendre une autre culture tant qu’on tient à défendre la sienne coute que coute. Comme disait un proverbe Lakota : Courage ! Seule la terre est éternelle" (En Marge, de Jim Harrison, 2004).

 

Finalement, à travers son œuvre, Jim Harrison a tenté de "parler pour tout le monde", de se fondre dans la diversité des apparences avec la sagesse d’un vieil indien. Jim Harrison était ainsi un personnage fascinant à propos duquel il ne manquait plus qu’un film pour parfaire la légende. Francophile, ce prodige de la littérature cite le poète René Char pour parler du tourbillon de l’écriture. C’est d’ailleurs sans grande coïncidence que l’on peut retrouver chez Jim Harrison cette même sensibilité humaine. Ainsi, René Char était peut-être à Albert Camus ce qu’était Jim Harrison à Jim Fergus, Tom McGuane ou Jack Nicholson. "Il faut des gens qui nous révèlent à nous-même" a conclu François Busnel à l’issue de la projection.

 

"Les routes qui ne disent pas le pays de leur destination sont les routes aimées" (Extrait du poème "Encart" de René Char, dans le recueil Le Nu Perdu, 1971.)

 

À l’heure où les élections de mi-mandat enflamment le pays d’Est en Ouest et entérinent les campements idéologiques des uns et des autres, comment garder une vision positive des États-(dés)Unis d’Amérique ? Eh bien, il suffit d'élire l’héritage du "vieux grizzly du Montana", de (re)trouver réconfort dans l’équilibre serein qu’induirait une reconnexion la nature, "de chercher la beauté qui nous entoure et que nous ne voyons plus". Ainsi, aussi vacillante soit-elle, l’Amérique états-unienne ne sera jamais dépossédée de ses "vrais" trésors – ni de son éblouissante immensité, ni de ses éternelles plumes.  

 

Seule la terre est éternelle, DVD disponible depuis le 18 octobre 2022.

 

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