INTERVIEW
Psycho Tropical Berlin, Paradigmes, Teatro Lucido, Paris-Hawaï... Chacun des albums de La Femme a fait voyager ses auditeurs à travers le monde entier. Depuis plus d’une dizaine d’années, le groupe français s’est adonné à explorer un bon nombre de sonorités. Avec ses morceaux rock-électro-pop-tropical-surf-punk, La Femme s’est d’ailleurs imposé à l’international comme le groupe français inclassable le plus désirable. S’ils ont pu se produire dans une trentaine de pays, c’est sûrement parce que Sacha Got et Marlon Magnée, duo historique du groupe, ainsi que leurs musiciens et chanteur(se)s, n’hésitent pas à toucher à tous les styles et à toutes les langues sans mettre de côté leurs origines. Aujourd’hui, La Femme revient avec un tout nouvel album 100% anglophone, Rock Machine, qui fait la part belle au rock bien sûr, mais pas seulement. Avant qu’il reprenne sa tournée aux États-Unis, S-quive s’est entretenu avec le groupe qui sait subtilement mêler synthés, ordinateurs et instruments à cordes.
Votre nouvel album Rock Machine est sorti vendredi dernier. Pourquoi avoir choisi de le nommer ainsi ?
On trouvait ça rigolo ! C’est un peu premier degré mais ça nous fait marrer. Il y a plusieurs morceaux dans l’album avec un côté gros solo de guitare, rock de stade… On s’est dit que ça serait cool de partir dans ce genre de direction. En cherchant des noms, on a vite pensé à “Rock Machine”. On s’est dit : “Tiens, c’est peut-être un peu ringard” et puis finalement on a aimé et on a gardé ce nom. La Femme vient du rock et a toujours l’esprit rock tout en utilisant beaucoup de synthétiseurs. On travaille sur des ordinateurs, on vit dans un monde de machines. Nous sommes des rockeurs dans un monde de machines finalement.
L’un des titres de l’album est nommé “I Believe in Rock’N’Roll”. Que pensez-vous de la place qu’a le rock dans la musique actuelle ?
La scène rock est très souterraine. Maintenant, il n’y a plus vraiment de gros groupes rock mainstream. Mais ça revient de manière cyclique. Dans les années 1990, il y a eu le grunge puis ça s’est essouflé. Dans les années 2000, c’était la scène britpop avec The Strokes et The Libertines. C’est un style qui existera toujours et qui revient par vague. Mais dans n’importe quelle ville, il y a des scènes rock, des bars rock, des groupes de garage ou encore de punk. C’est plutôt une niche, sauf quand on pense au métal qui est un style énorme avec une grosse scène. On pense souvent à des batteries et des guitares quand on pense au rock mais en vérité il y a plein d’embranchements différents.
Pourquoi avoir fait le choix d’écrire cet album entièrement en anglais cette fois-ci ?
On a écrit beaucoup de morceaux en anglais au fur et à mesure des années. Mais on ne s’est pas dit : “On part d’une page blanche et on écrit un album en anglais”. On a déjà fait un album en espagnol auparavant, donc on s’est dit que ce serait cool d’avoir une ligne directrice cohérente en faisant des albums à thème. Ce nouvel album s’inscrit donc dans cette lignée.
"Si tout le monde chantait en anglais, le monde serait uniformisé et ressemblerait à un énorme Starbucks !"
Vous jouerez à l’Accor Arena pour la toute première fois le 26 novembre 2025. En quoi ce concert sera-t-il différent des autres ?
C’est l’apothéose pour nous. La salle est énorme, ce sera une des plus grosses audiences qu’on ait fait. On a déjà fait de gros festivals mais là, c’est en notre nom. C’est aussi Paris, la ville dans laquelle on a commencé. C’est la France, c’est notre pays, donc forcément cette date va être particulière. On va préparer un gros show pour l’occasion.
Vous vous êtes produits dans plus d’une trentaine de pays à travers le monde. Qu’est-ce que ça fait d’être écoutés dans le monde entier ?
C’est vraiment fou ! Quand on a commencé le groupe, beaucoup de personnes de l’industrie de la musique en France nous disaient que ça allait être compliqué pour nous de tourner à l’étranger en chantant en français. Au final, on a foncé sans trop réfléchir et on s’est rendus compte qu’en allant là-bas et en jouant dans des bars ou des salles indépendantes et alternatives ça répondait plutôt bien. D’ailleurs, quand on est revenus en France, c’est là qu’on a commencé à avoir pas mal de portes ouvertes. C’était un coup de poker qui a vraiment aidé à lancer le groupe plus sérieusement.
Comme quoi, il faut toujours écouter son instinct…
Quand on était adolescents, on adorait des groupes qui chantaient en anglais alors pourquoi ils n’aimeraient pas un groupe qui chante en français ? Tout est possible ! On voulait vraiment sortir des diktats et de l’obligation de chanter en anglais. On a toujours revendiqué notre côté français tout en s’inspirant des groupes qu’on adore. C’est drôle car, avec ce nouvel album entièrement en anglais, la situation s’inverse. On n’aurait jamais pensé faire un album en anglais au début, comme quoi tout arrive !
Vous allez bientôt reprendre votre tournée aux États-Unis. Que représente ce pays pour vous ? Pensez-vous que les États-Unis soit toujours le pays du rock’n’roll ?
Aux États-Unis, on retrouve beaucoup la culture du rock. Tout le monde fait d’un instrument ou chante sans forcément être professionnel. On entend du rock dans les supermarchés, c’est beaucoup plus inscrit dans la culture populaire. Les États-Unis ont beaucoup de scènes mythiques : la scène de Memphis dans les années 1950 avec Johnny Cash, la scène psychédélique californienne, la scène new-yorkaise, celle de Détroit… Musicalement, c’est un pays très riche. Mais je ne pense pas que le rock appartienne aux américains. Dire ça serait débile. On a toujours trouvé ridicule la mode où tout le monde voulait ressembler aux américains. La fascination pour les États-Unis a toujours été très forte. Même pour nous dans les années 1990-2000, aller au McDonald’s, c’était cool alors que maintenant ça ne l’est plus. Les polarités s’inversent, et c’est bien. Si tout le monde chantait en anglais, le monde serait uniformisé et ressemblerait à un énorme Starbucks !
Vous explorez énormément de genres musicaux à travers vos chansons : rock anglo-saxon des années 1980/1990, new-wave, pop YéYé des années 1960, électro, raggaeton… Comptez-vous explorer d’autres styles à l’avenir ?
Il reste toujours des styles à explorer. Quand on a commencé, on avait l’impression d’avoir fait le tour de tous les styles, en tout cas de ceux qu’on aimait bien. Mais on s’est mis à s’ouvrir à des genres comme l’ethnique, le folklorique, le flamenco, les musiques arabes… Il existe un monde infini de styles et de sous-styles. Il faudrait toute une vie pour tout découvrir. On a vraiment entrepris un travail d’explorateur de son. On aimerait aussi faire des morceaux en bulgare, des polyphonies… On a encore plein d’idées !
"On nous demande souvent d’expliquer notre nom mais il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer. ‘La Femme’ nous a paru évident, il y avait même un côté mystique."
Dans plusieurs interviews, vous dites que votre nom est un mystère comme la femme. Et justement, on peut dire que vous n’avez jamais aussi bien porté votre nom, à l’ère où les femmes sont véritablement repositionnées dans la société. Que pensez-vous d’ailleurs de tous ces débats ?
On a été avant-gardistes ! On nous demande souvent d’expliquer notre nom mais il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer. “La Femme” nous a paru évident, il y avait même un côté mystique. On pourrait trouver mille raisons à ce nom. On le voit comme une force féminine, comme une femme qui pourrait être à la fois notre mère, notre grand-mère, notre fille, notre petite copine ou juste notre amie. C’est un hommage aux femmes.
Vous avez produit votre premier album Psycho Tropical Berlin en 2013, et celui-ci vous a permis d’être sacré Révélation de l’année aux Victoires de la Musique l’année suivante. Comment avez-vous vécu ce succès ?
À partir de ce moment-là, les choses sont montées à un autre niveau mais, en vérité, on n’a jamais eu un succès fulgurant à la Stromae ou Angèle. On était nombreux dans le groupe, on ne mettait pas forcément nos visages sur les pochettes… On n’a jamais été dans ce truc de starification. Les Victoires de la Musique nous ont permis d’être reconnus de manière sérieuse par l’industrie de la musique. Mais on n’a pas eu ce succès grand public où, d’un coup, le groupe explose. C’est rare que des gens nous reconnaissent dans la rue. En revanche, on arrive à jouer un peu partout dans le monde.
Que faut-il esquiver dans la musique selon vous ?
La mauvaise musique ! Mais c’est très subjectif. On est très ouverts à beaucoup de styles mais il y en a encore avec lesquels on y arrive pas du tout, comme la trap, par exemple. Mais ça plaît à beaucoup de gens ! Plus le temps passe, plus on s’est ouverts, mais il y a des choses qui restent imperméables… Mais pas de jugement, chacun écoute ce qu’il veut. Et surtout ne jamais dire jamais. Il y a quinze ans on n’aurait pas pensé faire un album en espagnol ou faire du raggaeton mais on l’a fait. Donc on en reparle dans quinze ans !
Le groupe La femme a sorti son nouvel album "Rock Machine" et sera présent sur la scène de l’Accor Arena le 26 novembre 2025.
Plus d'articles