CINÉMA
Dans Simone, le voyage du siècle, réalisé par Olivier Dahan, Elsa Zylberstein incarne avec une justesse incroyable les 1000 vies d’une des plus grandes figures de l’Histoire française. De son enfance au sein d’une famille juive à sa nomination à la présidence du Parlement européen en 1979, en passant par sa déportation à Auschwitz en 1944 – le film est un hommage vibrant et bouleversant aux combats d’une héroïne éternelle.
"J’écris un brouillon…le brouillon de ma vie". Assise dans un fauteuil en rotin devant l’immensité d’un bleu d’été, Simone Veil (incarnée par Elsa Zylberstein), se remémore les plus grandes tragédies de sa vie. Simone, le voyage du siècle, s'ouvre ainsi. Le biopic réalisé par Olivier Dahan revient sur la jeunesse et le parcours de cette femme exceptionnelle. 1940, Simone Veil – Jacob, de son nom de jeune fille, a treize ans et avouera en 1976, dans un interview intimiste pour Télévision française 1, avoir "toujours eu peur de ce qui pourrait survenir".
Ce film est la preuve que cette femme hors-normes ne répondra jamais autrement que par le courage, la détermination et le cœur, aux épreuves qui lui seront réservées. À commencer par l’année 1944, au cours de laquelle elle sera déportée par le 71e convoi jusqu’à Birkenau avec sa mère et sa sœur adorée, Milou. Son frère et ses parents, quant à eux y périront. "Qui sommes-nous ? L’épine, plantée dans la mémoire collective ?" s’interrogera Simone dans une correspondance avec sa sœur Milou, quelques années après son retour de l’"Enfer de Dante". Cette partie de vie sera interprétée par la jeune et talentueuse actrice Rebecca Marder, de la Comédie-Française, dans une mise en scène frontale des camps de concentration, des marches de la mort, et de la proximité avec l’inhumanité et cruauté inexplicables de la Shoah.
"Vous ne me faites pas peur. J’ai survécu à pire que vous ! Vous n’êtes que des SS au petit pied !", répond-elle aux violences des commandos du Front National, le 7 juin 1979, pendant sa campagne électorale pour les premières élections directes du Parlement européen.
Raconter l’impensable, c'est aussi le travail d'une vie pour Annie Ernaux, couronnée par le prix Nobel de la littérature le 6 octobre dernier. Dans L'Évenement (2000), il était question pour la jeune protagoniste de faire le choix entre la poursuite de ses études et l’interruption d’une grossesse – et pour le spectateur, de repenser l’histoire de l’avortement. Le film s’ouvre ainsi sur le débat passionné concernant la loi Veil (1975), qui s’étale dans un grand fracas d’avis éparpillés en violents postillons. La légalisation de l’IVG mis fin à "une situation de désordre et d’injustice, apportant une solution mesurée et humaines à un des problèmes les plus difficiles de notre temps" (discours de Simone Veil devant l’Assemblée nationale, le 26 novembre 1974).
Travail de retranscription et de transmission primordiale pour la mémoire collective, le film insiste sur l’humanité et la sensibilité dont Simone Veil ne cessera de faire preuve à travers les âges, jusque dans l’intimité familiale. Non seulement guidée par sa soif de justice et l’ampleur de ses luttes humanistes (de ses rencontres avec des malades du Sida, à sa réforme révolutionnaire du système pénitencier) Simone Veil était aussi animée par le soutien que lui conféraient ses proches et l’amour de sa vie – Antoine Veil, entré au Panthéon en même temps qu’elle en 2018. On retiendra notamment la représentation sincère de l'amour indescriptible qui liait Simone Veil à sa mère et sa sœur.
Simone Veil est peut-être à la France ce que Ruth Bader Ginsburg est aux États-Unis. Visage de luttes politiques emblématiques, toutes deux ont contribué à faire avancer le droit des femmes dans une société "d’hommes". Si la ressemblance physique est approximative, Elsa Zylberstein semble habitée par la mémoire de Simone Veil à travers un jeu d’une grande intensité, ce jusque dans la manière de répliquer et dans l'élégance, inégalables. Son implication et admiration pour le sujet qu'elle incarne étaient palpables lors de son passage dans l'émission "C à vous" : "c’était la personnalité préférée des français pendant plus de quinze ans, une femme d’une vérité absolue. Elle a fait des choses pour les autres, sans vouloir le pouvoir pour le pouvoir", s’est-elle émue avant d’évoquer des pans de sa propre histoire.
Si la chronologie du récit aurait mérité d'être davantage linéaire, évitant d’incessants va-et-vient temporels, Simone, le voyage du siècle est d’une telle puissance, qu’il bouleverse les cœurs et les esprits. Il est de ceux qui frappent en pleine poitrine et qui prennent aux tripes, jusqu’à ce que larmes s’en suivent. Peut-être est-ce dû à une mise en scène immersive des pires atrocités du siècle précédent, un déroulé sensible d’un destin hors-du commun, et la force d’un casting harmonieux. L’efficacité du film réside en ce que les combats de sa protagoniste sont malheureusement d’une brûlante actualité. Alors que, jusqu’aux États-Unis (depuis l’invalidation de l’arrêt Roe c. Wade par la Cour Suprême), les femmes continuent de se débattre dans les sables mouvants d’une liberté fragile et éphémère, résurgences fascistes et nationalistes se font également ressentir. Ceci ne cesse alors de prêter aux combats de Simone Veil, une intemporalité et force sans pareilles.
Simone, le voyage du siècle, de Olivier Dahan. En salles.