MUSIQUE
Imprévisible, énigmatique ou foncièrement instable, Kanye West est l’un des artistes et producteurs les plus influents et controversés de sa génération. A 44 ans, Ye sort aujourd’hui son 10e album composé de 27 titres, "Donda"— prénom de sa défunte mère —après plusieurs semaines de teasing bien mené sur les réseaux sociaux. Le businessman dont les frasques répétées alimentent le discours de ses détracteurs, est pourtant élevé au rang de génie du son par ses pairs, voire d’un potentiel "American Mozart".
Il était temps. Initialement prévu pour le 23 juillet dernier c’est finalement aujourd’hui, le 29 août, que sort "Donda", le 10e album du rappeur américain Kanye West. L’interprète de "Stronger" , "Flashing Lights” ou encore “Amazing” avait presque réussi à faire oublier à son public qu’il était avant tout un des artistes les plus talentueux et créatifs de son époque. Candidature à la dernière élection présidentielle américaine ratée, propos élogieux et soutien pour l’ex-président américain Donald Trump et vie privée étalée dans les tabloïds, ont donné matière à buzz et polémique. Une de ses dernières apparitions en juillet dernier, à la fashion week parisienne automne-hiver 2021-2022, lors du show Balenciaga avait créée l’évènement. Cagoulé mais reconnaissable à sa paire de Yeezy associée à ses chaussettes Nike, Kanye s’est une nouvelle fois donné en spectacle… mais avec style.
Jamais là où on l’attend, la star du hip-hop a suscité l’intérêt de ses fans ces dernières semaines en postant régulièrement des photos sur son compte Instagram pour annoncer la sortie de son nouvel album. Suivi par plus de 7,7 millions d’abonnés, le rappeur américain a préparé le terrain sur le réseau social : captures d’écran des conversations Facetime réalisées avec les artistes du moment tels que le chanteur The Weeknd, l’actrice et mannequin Louise Donegan ou le producteur Roark Bailey pour finaliser les derniers détails de son projet; labels triés sur le volet et tagués sur les récentes publications comme Cartier, Rick Owens ou Bottega Veneta et enfin un spot publicitaire pour la marque Beats by Dre, dévoilé lors du sixième match de la finale de la NBA, a fait sensation sur la Toile. Durant une minute, la caméra scrute la silhouette sculptée de l’athlète américaine Sha’Carri Richardson accompagnée du nouveau son du rappeur de Chicago : "No Child Left Behind", produit par le prince français de l’électro Gesaffelstein.
Deux ans après Jesus is King, ce nouvel opus très attendu pour ses nombreuses collaborations présumées avec les artistes Jay-Z, Tyler, the creator, Travis Scott, The Weeknd et Kid Cudi, entre autres, révèlera une nouvelle fois toute l’étendue de la palette artistique du perfectionniste maladif, perçu même comme un "American Mozart" par l’écrivain et collaborateur au New York Times Magazine David Samuels. "Kanye West est maniaco-dépressif. Il parle d’ailleurs publiquement de ce combat contre la maladie mentale. C’est quelqu’un de très émotif et très audacieux. Il essaie vraiment d’être une personne créative et émotionnellement honnête, tout en vivant sur ces plateformes [Instagram, Twitter…] et en créant de l’art", confiait-il à Society en 2018. Serait-ce l’état de la santé mentale du compositeur autrichien Mozart qui pousserait l’auteur américain à émettre une telle comparaison ? Syndrome obsessionnel, paranoïa ou maniaco-dépression sont autant de pathologies mentales recensées à la mort d’Amadeus, qui oscillait entre phases de dépression et d’excitation. Des troubles souvent évoqués pour décrire le comportement complexe, voire provocateur, de Kanye au cours de cette dernière décennie.
C’est pourtant à la suite de la tournée "Watch The Throne" (2011-2012), réunissant Kanye West et Jay-Z, que la plume acérée de David Samuels s’est intéressée à l’icône incontournable en publiant un papier dans le magazine américain The Atlantic. "Le pouvoir de Kanye réside dans sa grande créativité et son expression, sa remarquable maîtrise de la forme et son profond et intransigeant attachement à une certaine esthétique qu’il exprime aussi bien à différents moments dans le rap, les prod’ numériques, la mode, Twitter, les blogs, les vidéos live. Il est le premier vrai génie de l’ère iPhone, le Mozart de la musique américaine contemporaine qui tente d’utiliser son bagage créatif et émotionnel pour parler des chagrins d’amour et des fantasmes de son public", pouvait-on lire. Certains rigolent déjà. Kanye et Mozart, ces deux noms associés dans une même phrase et pourtant sommes-nous si loin de la réalité ?
Ne s’agit-il pas de redéfinir la notion-même de "génie" à une époque où elle est si galvaudée ? Le rappeur le plus récompensé de tous les temps avec 21 Grammy Awards devant Beyoncé ou Paul McCartney, celui qui a contribué à relancer la carrière de Jay-Z avec ses arrangements sur Blueprint (2001), celui qui produit des morceaux pour la reine de la soul Alicia Keys, ou encore celui dont l’influence pousse même ses amis vers les plus hautes sphères de la mode, à l’image du directeur artistique des lignes masculines chez Louis Vuitton, Virgil Abloh, ne mériterait-il pas une telle comparaison ?
Si au début des années 1990, l’industrie du rap se contentait d’instrumentalisations minimalistes, Kanye West, lui, mise sur les samples de soul. Avec minutie, il produit "Heart of the city" (2001) pour lequel il sample "Ain't No Love in the Heart of the City" du chanteur de blues américain Bobby Blue Bland. L’artiste enchaîne la reprise de références iconiques et sample une nouvelle fois "Through The Fire" de Chaka Khan lorsqu’il enregistre son premier single en tant que rappeur "Through The Wire" en 2004. Pour son premier album The College Dropout (2004), Kanye s’inspire de l’interprète Lauryn Hill, du groupe de rock américain Blackjack ou encore du compositeur de soul Curtis Mayfield, et en fait une référence dans l’univers du hip-hop. Reconnu par ses pairs, le prodige du rap impose son style avec "Gold Digger" et la balade "Hey Mama" déjà dédiée à sa mère Donda sur l’album Late Registration (2005).
Ce qui n’empêche pas le roi des envolées lyriques au tempérament changeant d’afficher son mindset jugé mégalo avec : "Can’t Tell Me Nothing" issu de l’album Graduation (2007), en lâchant d’entrée : "J'ai dit à Dieu que je reviendrai dans une seconde." Nourri d’inspirations de tous les horizons : du chanteur britannique Thom Yorke au groupe anglais Radiohead, en passant par Edith Piaf et Serge Gainsbourg, Kanye West fait acte de rédemption avec son album Jesus is King en 2019. Celui qui aime Dieu, autant que "Kanye loves Kanye", souhaite encore un peu plus être touché par la grâce. En 2020, c’est par le biais du Sunday Service et de sa chorale gospel que l’artiste enchaîne ses prestations "divines". Une nouvelle façon d’être chéri des dieux et d’entretenir inconsciemment, ou non, des similitudes avec un autre virtuose, aux dons musicaux exceptionnels, qualifié de "Divin Mozart".
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