INTERVIEW
Publié le
14 février 2024
Dans l'industrie de la mode, Jimmy Choo est un nom incontournable, synonyme de style, de luxe et de savoir-faire exquis. Originaire de Malaisie, le roi des chaussures est né dans une famille de cordonniers, son père lui a transmis son savoir-faire. Plus tard, Choo s'est fait un nom à Londres, en fondant sa marque éponyme en 1996 avec l'entrepreneuse Tamara Mellon, à l’époque rédactrice du Vogue britannique, qui a été la première à repérer son talent et à lui proposer un sujet pour les pages du magazine. Et même si Choo a vendu 50 % de ses parts et a quitté la marque en 2001, ses créations restent iconiques. Portées par des stars (Madonna et Michelle Obama sont ses plus grandes fans) et des membres de la famille royale (la princesse Diana était l'une de ses plus fidèles clientes), les Jimmy Choo, sont devenues un phénomène culturel. Immortalisé dans la série Sex in the City - vous vous souvenez sûrement, quand Carrie Bradshaw crie "I lost my Choo !", alors qu'elle tente de prendre le dernier ferry pour rentrer à Manhattan après une soirée à Staten Island, et dans de nombreux morceaux de rap, dont la reprise par Beyoncé d’"In da Club" de 50 Cent. Sa dernière aventure ? Une école de mode, de son propre nom, la Jimmy Choo Academy ou la JCA pour faire plus court, que le créateur de 75 ans a ouverte il y a trois ans dans le quartier londonien de Mayfair. Pour S-quive, le professeur Jimmy Choo décrypte pourquoi il est si important de transmettre les savoir-faire à la nouvelle génération, et sa conviction que Londres trouvera toujours un moyen de briller, même après le Brexit.
Pourquoi avez-vous décidé de créer votre propre école ? Et pourquoi dans le centre de Londres ?
L'éducation est très importante pour moi et je voulais transmettre mon savoir-faire aux jeunes créateurs, devenir leur mentor. Aujourd’hui, avoir une bonne éthique de travail ne suffit pas pour réussir dans le secteur de la mode. Les jeunes designers ont également besoin de créativité, de plein de compétences et d'une équipe de mentors pour les soutenir. Grâce à mon école, je peux finalement donner aux jeunes des ressources dont ils ont besoin pour réussir. Pourquoi Londres ? Pour moi, elle a toujours été le centre de la créativité et du design. En plus, les rues de Londres ne peuvent que vous inspirer. C'est aussi là, à Londres, que j'ai commencé ma carrière dans la chaussure. Donc c’était l'endroit idéal pour la JCA.
En quoi votre Académie est-elle différente des autres écoles de mode londoniennes ?
Je ne voulais pas créer juste une autre école de stylisme. Il était important que nous donnions à nos étudiants les ressources et le réseau nécessaires pour avoir un business qui prospère dès qu'ils obtiennent leur diplôme. On adopte une approche sur mesure pour chaque étudiant et on travaille individuellement, en les écoutant et en tenant compte de leur vision, que nous concrétisons ensemble. Il n'y a pas deux personnes identiques, donc il n'y a pas deux étudiants traités de la même manière à la JCA.
"Il ne s'agit pas seulement d'une école de design, nous visons réellement à doter nos étudiants des ressources et du réseau nécessaires pour créer les marques qui prospèrent dès qu'ils obtiennent leurs diplômes."
Selon vous, quels sont les principes les plus importants de l'enseignement de la mode ?
Le réseau est peut-être la chose la plus importante que les étudiants peuvent recevoir de leur formation chez nous. Ils vont aussi adopter une mentalité qui les prépare à l'industrie et à ce que l'avenir leur réserve. La mode n’est pas une industrie facile. Nous espérons donc leur apprendre à entrer sur le marché du travail avec facilité et une ouverture d'esprit afin de les aider à créer un impact positif et à changer l'industrie pour le mieux.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre processus de sélection ?
Il est tout à fait unique. Les étudiants sont sélectionnés sur la base de leur potentiel académique et créatif. Il y a deux étapes : d’abord on évalue leurs expériences précédentes et leur portfolio, et ensuite on conduit un entretien académique. Nous n'invitons que les étudiants les plus talentueux et les plus ambitieux à nous rejoindre - ceux qui veulent créer leur propre entreprise et qui font preuve d'esprit entrepreneurial. Il ne s'agit pas seulement d'une école de design, nous visons réellement à doter nos étudiants des ressources et du réseau nécessaires pour créer les marques qui prospèrent dès qu'ils obtiennent leurs diplômes. Nos professeurs ont tous de nombreuses années d'expérience, du succès dans leurs domaines respectifs et la passion d'enseigner à la prochaine génération de créateurs. Nous avons également d'excellents conférenciers invités, des insiders de l'industrie comme Ramdane Touhami, cofondateur de l'Officine Universelle Buly, le designer Patrick McDowell ou le photographe Jonathan Hallam, l'une des rares personnes autorisées à prendre des photos à l'intérieur de la Maison Martin Margiela à l’époque.
"Voir la Jimmy Choo Academy se concrétiser avec notre toute première classe a été un jour dont je me souviendrai toujours."
Pourquoi avez-vous décidé d'inclure des cours d'été et des cours de courte durée dans la sélection des programmes disponibles à la JCA ?
Les cours de courte durée, comme Fashion Buying, Pattern Cutting ou Fashion Illustration, offrent des aperçus condensés mais complets de sujets spécifiques. Nous sommes ainsi en mesure de répondre aux besoins d'un plus grand nombre d'étudiants, y compris les professionnels qui cherchent à acquérir de nouvelles compétences et à faire progresser leur carrière, ou même ceux qui souhaitent simplement apprendre de nouvelles choses comme un hobby.
Comment vous sentez-vous dans votre nouveau rôle d'enseignant ?
C'est très agréable ! Je rencontre nos étudiants pour la première fois lors de leur semaine d'intégration en septembre de chaque année. Ensuite, je fais des allers-retours à Londres tout au long de l'année pour leur donner des cours. J’aimerais qu'ils sentent qu’ils font partie de la famille de la JCA. L’année inaugurale à la JCA a été très inspirante pour moi, en particulier parce qu’avec mon partenaire de business, Stephen Smith, nous avons discuté de la création de la JCA pendant des décennies, et voir ce projet se concrétiser avec notre toute première classe a été un jour dont je me souviendrai toujours.
Dans notre société, nous avons l'impression que pour apprendre, il faut être jeune et en début de carrière. Mais vous, vous avez étudié au Cordwainers Technical College dans votre trentaine. Qu'en est-il de votre école ?
L'Académie est une communauté mixte de créateurs à tous les stades de leur carrière, des débutants âgés de 18 ans à ceux qui abordent la mode comme une seconde carrière. Nous avons également un programme d'incubation qui soutient à la fois nos étudiants et les jeunes startups au cours de leurs premières années. Vous savez, il n'est jamais trop tard pour suivre sa passion.
"Mon père a été mon plus grand mentor. Il était cordonnier et m'a appris le métier parmi d'autres leçons très précieuses, comme la patience."
Dans vos interviews, vous soulignez toujours l'importance des mentors pour les étudiants. Qui était votre mentor le plus important ?
Mon père a été mon plus grand mentor. Il était cordonnier et m'a appris le métier parmi d'autres leçons très précieuses, comme la patience. Au début, il ne voulait pas me laisser fabriquer des chaussures. Au lieu de cela, il m'a dit : "Assieds-toi et regarde, assieds-toi et regarde". C'est ce que j'ai fait pendant des mois et des mois, en me demandant pourquoi je n'avais pas encore commencé. Finalement, j'ai été autorisé à m'asseoir à la table de découpage, où mon père m'a appris à découper le patron. Pour être tout à fait honnête avec vous, les premières fois, je me suis coupé la jambe.
Comment est née votre passion pour les chaussures ?
La création de chaussures est dans mon ADN. Mes parents étaient cordonniers, j'ai donc suivi l'exemple de mon père, qui m'a inspiré tout au long de ma carrière. Comment créer une chaussure légendaire ?
La création d'une chaussure n'est pas une science exacte. Mais je pense que toute bonne chaussure possède quelques "ingrédients” communs, qui lui permettent de résister à l'épreuve du temps. Des matériaux de la meilleure qualité, un bon design et un aspect esthétique, qui est agréable à l'œil.
Londres a joué un rôle principal dans votre carrière. Que pensez-vous de la ville aujourd'hui ? Y a-t-il un avenir pour Londres après le Brexit ?
Londres a toujours été l'intersection parfaite entre les affaires et le design, ce qui lui a permis de devenir l'une des principales capitales mondiales de la mode. Londres sera toujours un centre pour l'innovation dans le domaine de la mode et je ne pense pas que cela changera de sitôt, même après le Brexit. En plus, il y a tellement de travail qui se fait dans la ville autour de la mode durable, en particulier.
"Je suis très fier qu'un si grand nombre de nos étudiants fassent de la durabilité une valeur fondamentale de leur marque."
Quelle est votre vision du secteur de la mode aujourd'hui et où pensez-vous que nous nous dirigeons à l'avenir ?
Je pense que le besoin des pratiques industrielles durables va se poursuivre et s'intensifier. J'ai constaté beaucoup d'améliorations au cours des 10 à 15 dernières années, mais il reste encore beaucoup à faire. Je suis très fier qu'un si grand nombre de nos étudiants fassent de la durabilité une valeur fondamentale de leur marque.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune créateur qui souhaite percer dans le monde de la mode ?
Je dis toujours à nos étudiants qu'ils doivent avoir des bases solides. Il ne suffit pas d'avoir une idée unique ou une bonne éthique de travail. Le réseau de personnes, qui entourent votre entreprise et vous-même, est très important aussi. L'humilité vous mènera loin dans vos affaires et dans votre vie.