LA BEAUTÉ DE
Publié le
19 novembre 2024
Artiste digitale innovante et audacieuse, Inès Alpha s’inspire du fascinant monde aquatique pour penser des maquillages 3D riches de tonalités glossy et de fluidité. Global Creative e-make-up artist de Prada Beauty, la jeune femme excelle dans l’art d’imaginer des textures, des couleurs et des looks Beauté sur-mesure en adéquation avec l’histoire de la maison. Alors que l’une de ses œuvres en réalité augmentée sera présente dans le cadre du parcours "De toutes beautés !" au Musée du Louvre, celle qui a collaboré aux visuels de l’album de Charli XCX se livre sur ses ambitions futures, notamment celle de développer encore davantage des accessoires augmentés pour sublimer le visage.
Inès, si vous deviez vous présenter en quelques mots…
Je suis une artiste digitale et je me suis spécialisée dans le maquillage 3D. Un outil qui permet de transformer son visage, principalement, en utilisant des logiciels.
Vous êtes aussi Global Creative e-make-up artist de Prada Beauty ! Un job dont beaucoup ne connaissent pas l’existence. Quel est votre rôle au quotidien avec la maison de Beauté ?
Effectivement, c’est un job qui a été créé de toute pièce et la première fois que j’ai rencontré l’équipe de Prada Beauty, c’était la véritable question : Comment va-t-on travailler ensemble ? Le but n’était pas juste de créer des filtres en réalité augmentée mais de participer au développement de toute la collection de maquillage, des couleurs et des looks avec des outils digitaux. J’ai créé des teintes, des textures et des looks de maquillage sur des avatars en 3D. J’ai travaillé en collaboration avec une make-up artist traditionnelle qui fait, d’ailleurs, les make-up des shows Prada. Nous faisions des workshops ensemble où je présentais des combinaisons de couleurs que je trouvais très intéressantes et très Prada, inspirées de leurs défilés et de leurs archives, auxquelles j’ai eu accès avec tous les imprimés de la maison. Nous avons travaillé sur les fards à paupières et les rouges à lèvres autour de subtilités de teintes qui peuvent parfois évoluer d’un écran à l’autre, d’ailleurs. Nous avancions avec les laboratoires qui proposaient les pigments ou les textures qu’ils avaient créés, par exemple.
"J’aime créer des choses difficiles, voire impossibles à fabriquer dans le monde physique."
Il y a quelques jours, vous étiez présente au Musée du Louvre dans le cadre du parcours baptisé "De toutes beautés !", soutenu par le groupe L’Oréal, qui explore l’histoire de la Beauté au fil des âges, des civilisations… Que pouvez-vous nous dire de l’évènement ?
Je n’ai pas encore fait le parcours Beauté mais j’aimerais beaucoup car il n’y a pas que la Beauté d’aujourd’hui qui m’intéresse ! Je lis beaucoup de choses, j’essaie de comprendre toutes les tendances, d’où viennent les canons de beauté et leurs évolutions. On m’a proposé d’exposer une œuvre pour cet évènement avec une sélection en tête. Je souhaitais faire une expérience plus interactive et visionnaire qu’une simple vidéo, surtout sur le stand qui annonce le futur de la beauté. Du maquillage en vidéo, c’est très beau avec le travail de post production, mais c’est plus intéressant si une personne peut porter le maquillage en temps réel. Je leur ai proposé un miroir en réalité augmentée grâce au développement du Studio ffface.me avec qui je travaille. Le miroir est un Photobooth, ce qui veut dire qu’on peut imprimer les photos que l’on prend seul(e) ou avec ses ami(e)s. C’est toujours sympathique de repartir avec un petit selfie lors d’un évènement. Ainsi, ne font-ils pas partis de l’œuvre en ayant pris cette photo ? Que ce soit sur papier ou sur les réseaux sociaux, le fait d’avoir enlevé cette frontière entre l’œuvre et les visiteurs est très intéressant.
En février, il y aura même une web-série réalisée par Thierry Demaizière pour capter les Millenials Gen Z. C’est un public auquel vous pensez particulièrement lorsque vous imaginez des créations ?
Non pas du tout ! Je touche tout le monde et je fais vraiment ce que je souhaite. Comme beaucoup d’artistes, mon intention est de rendre accessible mon travail à un maximum de personnes. La beauté n’est pas que pour les jeunes mais malheureusement on a tendance à mettre en avant que la jeunesse… Il n’y a pas que des jeunes sur les réseaux sociaux donc j’espère toucher un panel de personnes très variées et intéressées par l’art, ou non. C’est ce qui est intéressant avec un tel évènement puisque je ne touche peut-être pas le même public que sur les réseaux sociaux. C’est plutôt Millenials/ Gen Z mais je ne garde pas ça en tête quand je fais un projet.
Il y a beaucoup de fluidité dans vos filtres. Pourquoi cette vague récurrente et comment définiriez-vous votre style ?
Je définirais mon style comme une seconde peau fantastique. Pour moi, il a été très difficile de trouver mon style et de ne pas m’éparpiller vers des choses que je vois ailleurs ou qui sont tendance. Je me suis contrainte à des choses qui me passionnent et que je ne vois pas ailleurs pour m’approprier certains codes.
"Je ne souhaite pas encore recouvrir totalement le visage des gens, en réalité augmentée, car je souhaite qu’ils apprécient le visage avec lequel ils sont nés."
D’ailleurs, où trouvez-vous vos inspirations artistiques ?
J’ai toujours aimé l’univers aquatique peu ou difficilement accessible, avec des couleurs et des lumières très denses et puissantes, des textures glossy presque parfaites, sans aspérités. Cela fait partie de l’esthétique très futuriste de mon travail. J’aime créer des choses difficiles, voire impossibles à fabriquer dans le monde physique, soit parce que c’est trop lourd, soit parce que c’est gênant, inconfortable ou qu’on ne peut pas l’animer parce qu’il faudrait des nanotechnologies pour avoir des tentacules qui flottent sur un visage avec fluidité ! On ne trouve cette fluidité que sous l’eau, un lieu qui est, pour moi, une planète fantastique. Le côté seconde peau est important car je vois mon travail comme du maquillage et non comme un masque. Je ne souhaite pas encore recouvrir totalement le visage des gens en réalité augmentée. Il s’agit plutôt de décorations sur leurs peaux car je veux qu’ils apprécient le visage avec lequel ils sont nés.
Vous avez collaboré avec des personnalités telles que Charli XCX… Racontez-nous !
Malheureusement, ce n’est pas Charli XCX qui m’a contactée directement mais j’aurais adoré discuter avec elle ! C’est son directeur de création qui est venu vers moi pour travailler sur le visuel de son album et une série d’images. Il voulait que je fasse du maquillage 3D sur son corps. Il avait quelques idées en tête et il m’a montré ce qu’il aimait dans mon travail pour démarrer cette collaboration. C’était très fluide et ça s’est super bien passé. Le rythme était juste hyper rapide : "On a besoin de l’image dans quatre jours !" [Rires] Je suis encore très honorée d’avoir pu faire ça.
"Avec le Studio Halia, je souhaitais faire un projet physique qui pourrait être augmenté."
Vous faites aussi des bijoux inspirés de vos créations e-beauty… Julia Fox en portait une en couverture de Schön ! Comment s’est passée votre collaboration avec le Studio Halia ?
Ils m’ont contacté car ils souhaitaient rassembler un collectif pour lancer des produits afin de promouvoir le futur de l’expression de soi. C’est mi expérimental, mi concret. Ils ont un e-shop et sortent des collaborations. Je suis la première. J’ai trouvé ce projet très complet car ils accompagnent la sortie du produit d’un magazine très fouillé avec des recherches sur la beauté et l’expression de soi. Ils m’ont proposé de faire ce que je souhaitais. Je leur ai fait plusieurs propositions de concepts avec ce souhait de faire un projet physique qui pourrait être augmenté. C’est quelque chose que je voulais concrétiser depuis des années mais je ne savais pas comment m’y prendre.
Il y a tout de même cette volonté de faire de votre art digital une création physique ?
Oui, j’ai toujours eu cette envie, ou du moins de lier les deux. Ce projet était vraiment ce que je rêvais de faire mais je n’avais pas les moyens techniques ou budgétaires. C’est un projet lourd que de conceptualiser, fabriquer le produit en plusieurs quantités, puis le vendre sur un e-shop, ajouter le marketing, la com’ ! Ce n’est pas mon travail ! [Rires] C’est drôle comme parfois on pense à des choses et l’univers vous l’apporte quelques années plus tard ! Il suffit parfois d’attendre et d’être patient.
Que faut-il esquiver dans la Beauté digitale ?
Les filtres Beautifying ! Je vais nuancer mon avis. Les filtres qui "rendent beaux" en enlevant les rides, les boutons, les cernes ou en rétrécissant le nez, la mâchoire ou encore en agrandissant la bouche… Ils s’inspirent du canon de beauté occidentale... Je trouve ça très normalisant puisque tout le monde commence à avoir la même tête avec les filtres ou des processus chirurgicaux ou d’injection. Ce n’est pas ça la beauté. Elle est beaucoup plus diverse, personnelle et émotionnelle. C’est prouvé qu’avec tous ces processus, les gens ne se trouvent toujours pas beaux… Ils veulent toujours plus. J’adorerais que, dans notre société, on mette plus en avant le talent, la gentillesse, les bonnes actions, les capacités humaines de chacun plutôt que leurs physiques ! On a tous et toutes envie d’être beaux/belles parfois parce qu’on fait partie d’un système. Les filtres sont dangereux, il faut en avoir conscience et ne pas s’y habituer.
Nous nous étions rencontrées chez Danae, il y a quelques jours, qui représente des artistes digitaux. Il y a toujours, par essence, cette dimension très futuriste et avant-gardiste. Quel est l’avenir de la beauté digitale ?
Il y aura une évolution en fonction des technologies. Aujourd’hui, les lunettes AR ou les masques VR ou de réalité mixte ne sont pas encore au point pour développer une beauté digitale immersive. Je pense que la prochaine étape dans la beauté digitale, ce sera le côté immersif : se voir et voir les autres avec nos propres yeux au moment T avec le filtre ou la parure que la personne aura décidée de porter. Concernant l’IA, il y a beaucoup de discussions à prévoir. C’est difficile d’être optimiste parce que tout ce qui est généré est extrêmement parfait. Ce n’est donc pas très inclusif. Ma coiffeuse m’a dit récemment que des clientes viennent avec des images de coiffures et cheveux générés par l’IA. C’est problématique parce qu’elles n’auront jamais ce cheveu… La personne peut être un peu déçue du résultat…
Pouvez-vous nous parler de vos projets Beauté à venir ?
Concernant mes projets Beauté, je suis beaucoup dans l’expérimentation. En AR, je vais sûrement faire d’autres choses mais je dépends aussi de la technologie et je ne trouve pas qu’il ait eu beaucoup de progrès. Je ne peux pas encore faire de maquillage 3D sur quelqu’un.
Pensez-vous ouvrir encore davantage le champ des possibles ?
Oui, j’espère ! Il y a une infinité de possibilités de formes, de matières, de couleurs, d’animations, de styles. Il y en a autant que de collections de vêtements. Faire évoluer les possibilités se trouve aussi ailleurs que dans le digital. Le bijou que j’ai fait pour le visage, c’est quelque chose qui n’est pas encore normalisé. Ce n’est pas courant de voir quelque chose de plus couvrant sur le visage et je vois le potentiel. C’est pour cela que j’ai eu envie d’en faire un. Est-ce que cela va prendre ? Est-ce que les gens vont oser ? Je ne trouve pas ça plus dérangeant qu’un collier. Ça rafraîchit la mine, tout comme le maquillage, c’est un atout et un accessoire de Beauté. J’espère être amenée à en faire plus.