INTERVIEW

Imany : "Les femmes ont un droit fondamental à la colère."

Publié le

7 novembre 2025

À l’occasion de la sortie de Women Deserve Rage, son troisième album studio, Imany livre une œuvre viscérale et engagée. La chanteuse y explore la rage comme une force vitale et légitime, un moyen d’émancipation et un moteur de vérité. Rencontre avec une artiste qui revendique la colère comme un droit et une lumière.

Imany ©DR

Votre album Women Deserve Rage est sorti le 24 octobre dernier. Comment vivez-vous les premiers retours du public et de la presse ?

Plutôt bien. J’ai l’impression que pour ceux qui me suivent depuis le début, c’est une bonne surprise. En même temps, ce n’est pas une trahison pour les fans. Je le vis bien. Avec le temps, j’ai appris à essayer de me détacher de la manière dont c’est reçu. Que ce soit bien ou pas, ce n’est plus entre mes mains donc je le vis plutôt sereinement.

Le morceau "Mad" et son visualizer ont marqué les esprits dès septembre. Quel rôle ce morceau joue-t-il dans l’ensemble de l’album ?

"Mad", c’est le commencement. Ça parle de la rage, du titre, de la contradiction de ce monde. On pourrait croire que c’est une histoire personnelle, mais je pense que ça parle à beaucoup de gens. On est tous, pour une raison ou une autre, confrontés à la colère — que ce soit dans nos relations ou face à ce qu’on voit autour de nous, devant notre propre impuissance. C’est vraiment le centre de l’album : tout part de cette folie et de cette colère qui peuvent nous animer face aux contradictions du monde.

Vous avez présenté l’album en live lors d’un concert exclusif au Théâtre Mogador. Comment avez-vous vécu ce moment sur scène ?

C’était assez étrange, parce que c’était la première fois que je présentais un album sur une scène aussi grande. Le public parisien est plus exigeant, parce que tout le monde passe à Paris. D’habitude, on commence dans des petites villes, mais là, on s’est jetés directement dans le grand bain d’eau froide ! C’était stressant, mais j’ai décidé de me laisser porter, car le stress, c’était juste des problèmes supplémentaires. Au final, je l’ai bien vécu. D’ailleurs, je ne me rappelle plus très bien du concert, ce qui est généralement un bon signe.

"On s’aperçoit que, lorsqu’il y a des combats de société, les premières qui n’ont peur de rien et qui utilisent leur colère pour le bien collectif, ce sont les femmes."

La couverture de l’album, réalisée par Eugenio Recuenco, est très forte visuellement. Quelle était votre intention artistique derrière cette image ?

Je voulais qu’on comprenne, avec une seule image, ce que peut être la violence psychologique au sein d’un foyer. La violence physique se voit, mais la violence psychologique, on a du mal à l’identifier, et quand on en parle, c’est encore plus difficile à décrire. J’avais envie de créer une image glaçante, car c’est ça, la violence psychologique. Il y a cette femme – moi – dont le reflet se déforme dans un fer à repasser. Elle est enfermée à l’intérieur, prise dans sa vie du quotidien. C’est une métaphore de ce qu’on demande aux femmes : d’être lisses et sans un pli, mais de porter en même temps toute l’oppression du foyer, de la charge mentale et du miroir qu’on n’ose pas regarder.

Imany ©DR

Avec Women Deserve Rage, vous réhabilitez la colère des femmes comme une force légitime. Qu’est-ce qui vous a inspirée à en faire le cœur du projet ?

Au début, je ne pensais pas que ça deviendrait le centre du projet. J’ai écrit cet album avec la vocation de transformer une colère personnelle en quelque chose de positif. Mais au fur et à mesure, j’ai compris que cette colère nous était refusée, à nous les femmes en général. Si on l’exprime, on froisse l’ordre établi. Et au fil de l’élaboration de cet album, je me suis rendu compte à quel point cette colère était nécessaire. Et qu’à l’heure actuelle, on voit bien qu’il y a des conflits un peu partout : à l’intérieur du couple, dans la société, notamment dans la manière dont les femmes sont traitées. Et on s’aperçoit que, lorsqu’il y a des combats de société, les premières qui n’ont peur de rien et qui utilisent leur colère pour le bien collectif, ce sont les femmes. C’est ce qui se passe autour de moi, à l’intérieur de moi, qui a fait que je suis arrivée à ce titre-là.

"Il y a quelque chose d’indescriptible dans la musique : on entre dans le cœur des individus beaucoup plus facilement."

Pensez-vous que la musique peut contribuer à changer la perception des émotions féminines dans la société ?

Je pense que la musique a pour rôle de tisser des liens entre les individus et de véhiculer des messages plus vite que beaucoup d’autres formes d’expression. Il y a quelque chose d’indescriptible dans la musique : on entre dans le cœur des individus beaucoup plus facilement. Ce qui explique le choix des dictatures de s’en prendre avant tout aux artistes, et particulièrement aux chanteurs, puisqu’ils touchent directement le cœur des gens. La musique peut éveiller, donner du courage, mais en fin de compte, lorsque les choses doivent être faites, elles le sont par les individus. La musique, c’est le fond sonore d’une révolution personnelle. Ça, j’y crois.

Comment avez-vous travaillé pour que le message de l’album soit aussi fort dans le son que dans l’image ?

Je n’ai pas arrêté de dire que je voulais un son différent, parce que je me sentais différente. Pas par envie d’être différente, mais parce que je l’étais. On a suivi toutes nos intuitions, ce qui est le plus important. Souvent, les artistes, notamment les jeunes, vont être influencés par ce que les autres font. Je pense que la vérité n’est pas là, mais dans l’authenticité. Je voulais que le son soit à la hauteur des sentiments, qu’il soit vrai, brut, authentique.

Depuis The Shape of a Broken Heart jusqu’à Voodoo Cello, votre univers a beaucoup évolué. En quoi Women Deserve Rage représente-t-il une nouvelle étape ?

C’est une nouvelle étape à plusieurs égards. C’est la première fois que je réalise et écris un album moi-même. Les précédents, je les avais écrits, mais pas réalisés. Et aussi parce que je me sens nouvelle : j’ai plus de quarante ans, deux enfants, une séparation derrière moi, et quinze ans de carrière… Tout ça change profondément une personne.

Vous avez toujours mêlé engagement et création artistique. Comment parvenez-vous à maintenir cet équilibre sans compromis ?

Justement, en ne faisant pas de compromis. L’avantage de chanter, c’est de tout faire avec de l’authenticité. C’est comme ça que je suis. Si quelque chose me révolte ou si je veux parler d’un sujet controversé, je le fais. Et le fait d’en parler en musique, ça en fait une œuvre artistique. Je pense, comme l’a dit Nina Simone, que "la mission de l’artiste, c’est de compter la période dans laquelle l’artiste vit, pour pouvoir avoir une trace". C’est autant une mission personnelle qu’une mission envers les autres.

"J’essaie d’esquiver l’évidence et de me mettre en 'danger' à chaque fois."

Quel message souhaitez-vous que les auditeurs retiennent après avoir écouté Women Deserve Rage ?

Que les femmes ont un droit fondamental à la colère. Ce n’est pas une arme, c’est une révélation à soi-même. Et que mettre cette colère de côté, pour ne pas faire de vagues, pour être acceptées, pour ne pas déranger l’ordre établi autour de soi, c’est accepter une guerre intérieure, accepter que cette guerre, tu la perdes. J’aimerais que l’on retienne qu’adresser sa colère, c’est devenir un être à part entière. Car tant que ce n’est pas le cas, on est morcelées, sans se regarder dans notre complexité. Et on essaie de plaire aux autres. Dès ce moment-là, on ne peut pas exister. C’est ce que cet album veut dire : nous, les femmes, avons le droit d’être des êtres à part entière. Quand on le sera, on rétablira un équilibre dans ce monde qui en a besoin.

Imany ©DR

Un court métrage lié à l’album serait en préparation. Que pouvez-vous nous dévoiler à ce propos ?

Je ne voulais pas faire un clip au sens classique. J’avais envie d’un court métrage qui, en images, parle de l’album. Pouvoir aborder plusieurs états des morceaux de façon décalée : par moment, c’est la chanson de l’album, et par moment, elle est chantée a cappella, parfois chantée par d’autres ou en son direct. J’avais envie de faire une œuvre artistique intéressante, avec des amies que j’ai invitées, d’autres artistes, actrices notamment, qui sont aussi des amies, et qui comprenaient le message que je veux faire passer avec Women Deserve Rage. Il va donc y avoir quelques visages familiers.

Qu’esquivez-vous dans la musique ?

J’essaie d’esquiver l’évidence et de me mettre en "danger" à chaque fois. Je préfère rester dans une forme de complexité, dans une recherche.

"Women Deserve Rage", Imany, disponible partout. 

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