INTERVIEW
Publié le
18 décembre 2024
Présentée par Mouv’, l’Adami et l’Orchestre Philharmonique de Radio France, la neuvième édition de "Hip Hop Symphonique", disponible sur Arte.tv, sera diffusée demain soir sur Mouv'. Cette année, c’est sous la direction d’Issam Krimi qu’un seul rappeur a été invité. Josman sera le maître de cérémonie d’une rencontre, qui, même après presque une décennie, reste toujours singulière. Deux univers que, sur le papier, tout oppose ; et qui pourtant se marient idéalement comme deux pièces d’un même casse-tête qui trouve le bon angle d’approche. S-quive a rencontré le chef d’orchestre de l’évènement : Dylan Corlay. Un homme à la stature ancrée dans le sol, au regard perçant et au sourire vif. Car au-delà des apparences, cet ancien joueur de reggae, n’a rien d’une gratte partition poussiéreuse. Lui qui dira, durant cet entretien qu’il faut esquiver les personnes trop sérieuses, mettra tout son sérieux à trouver le bon équilibre pour rendre la musique accessible à tous. Un pari ambitieux dans un projet qui se veut tout aussi grand. Un échange qui va au-delà de l’art, puisqu’il touche ce que nous connaissons tous : la vie.
Vous dirigez l’orchestre philharmonique de Radio France. Qu’est-ce que représente une telle institution dans notre culture et notre patrimoine musical d’après vous ?
C’est un orchestre prestigieux, et surtout de la radio. C’est un honneur de pouvoir être là avec cet ensemble de haut niveau qui se prête parfaitement à cette semaine inhabituelle autour du hip-hop.
Comment avez-vous travaillé ce projet ? Une étape marquante dans la construction de ce concert ?
Il y a une anecdote qui est marquante et amusante. Il y a eu une coupure de courant pendant les répétions ! Un moment qui nous semblé interminable, il était impossible de travailler. A part ça, ce qui est particulier pour cette édition, c’est que Josman est venu répéter plus rapidement avec l’orchestre. Ce qui a changé notre manière de procéder car habituellement nous faisons les répétions en deux temps, l’orchestre seul, puis avec l’artiste. Nous avons réellement travaillé ensemble, avec autant de sérieux que de naturel. Ce qui a fait que c’était très agréable.
Mouv’ définit Josman comme un artiste "quasiment inclassable". Qu’est-ce son art a de si différent ?
Je ne pas être assez calé sur d’autres rappeurs avec qui j’ai pu travailler, et que j’ai pu connaitre. Ce que je sais c’est qu’il est un artiste étonnant. Il est capable d’avoir, d’un seul coup, un flow d’une qualité extraordinaire : rapide, rythmiquement parfait, en place en termes d’ensemble et très travaillé surtout ! On sent qu’il a plusieurs cordes à son arc. Et puis, on sent, qu’il est un artiste qui réfléchit et analyse son art. Il n’est pas là pour "faire le show", entre guillemets. Il y a cette image, et elle est vraie parfois, du rappeur qui arrive et qui se la raconte. Josman a du recul malgré sa jeunesse. Il sait ce qu’il veut et pourquoi il est là. J’ai collaboré avec une personne et un artiste sobre, calme et qui s’investit pleinement.
Quel album hip-hop et classique vous ont marqué sur cette année ? Pourquoi ?
Compliqué encore sur cette question ! Je sais que j’ai beaucoup apprécié travailler avec SCH, MC Solaar. Mais je ne suis pas assez connaisseur pour répondre au mieux à cette question. L’album qui m’a marqué, et avec qui j’ai eu également l’honneur de collaborer, c’est Zaho De Sagazan. C’était à la fois électro et symphonique. Avec la présence inhabituelle d’un instrument nommé Ondes Martenot, qui est l’ancêtre du synthétiseur. Cela a donné un moment hors du temps et qui m’a personnellement marqué.
"J’ai navigué pendant quatre ans dans ce milieu plus ‘urbain’, notamment dans la musique reggae."
La musique classique, c’est une rigueur académique qui remonte sur plusieurs siècles. Le hip-hop de Josman, c’est une rigueur d’instinct et d’émotion d’aujourd’hui. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre ses oppositions pour l’événement de ce soir ?
Il faut savoir que j’ai navigué pendant quatre ans dans ce milieu plus "urbain". Notamment dans la musique reggae. Nous avons fait les premières parties de Disiz ou Assassin, par exemple. Donc j’ai appris et j’ai grandis dans cet univers, puisque c’était, en plus, de mes 16 ans à mes 20 ans. Cette période m’a appris énormément d’un point de vue artistique, musical et humain. Avec ce projet "Hip Hop Symphonique", je retrouve des codes que je connais. Par rapport à l’orchestre, je suis finalement dans l’entre-deux. Ça me permet de faire le lien.
Un reproche qu’on entend, c’est que Radio France conserve une ligne éditoriale de tradition. Le hip-hop a également ses traditions. Mais dans ce cas, on ne dit rien, moins en tout cas... Finalement, les traditions sont nécessaires ?
Ça dépend comment on les applique, je dirais. Je pense qu’on peut être dans une tradition, tout en étant dans notre époque. Si on reste fixé sur la tradition, il y a ce côté "ancien" qui va prédominer. A l’inverse, il ne faut pas donner moins d’importance au passé en restant focus sur aujourd’hui. Il faut se creuser la tête pour voir ce qui est possible de faire, car tout peut coexister. Avec Issam Krimi, il y a quelque chose qui s’est parfaitement équilibré de ce point de vue, je pense.
Dans l’esprit commun le hip-hop et la musique classique n’ont rien à voir ensemble. Pourtant, nombreux sont les artistes qui samplent les grands compositeurs. Mobb Deep avec la "Lettre à Élise" de Beethoven, Outkast avec Wagner dans un de leurs plus célèbres titres : "Mr Jackson", ou encore NTM avec Chopin. Aujourd’hui, des composteurs comme Sofiane Pamart montre que hip-hop et classique peuvent cohabiter et même plus. Qu’est-ce que le rap trouve, selon vous, dans le classique ? Qu’est-ce que le rap lui apporte ?
Dans les exemples que vous me citez, ce sont principalement des samples. Il n’y a pas de réelle cohabitation avec la musique classique, sous sa forme orchestrale comme dans ce projet. Ici, on est sur 60 musiciens qui s’accorde avec le hip-hop. Alors que souvent, c’est plus des petits extraits, des bouts de compositions qui vont donner une base mélodique. Mais par rapport à ce qu’on propose pour ce concert, je dirais qu’on est sur une assise rythmique très différente. On joue avec un click pendant le concert. Ça groove plus que d’habitude. Il serait possible que la musique classique amène quelque chose dans le hip-hop. Pour ça, je dirais qu’il faut qu’un artiste construise tout avec un orchestre symphonique. Que tout l’album soit une création originale sous cette forme. Dans ce live, les titres existent, sans orchestre, et la musique est réarrangée pour le moment. Finalement, on est sur du rajout. Ça n’est pas du tout similaire en termes de création que de partir d’une feuille blanche et construire des œuvres qui mêlent dès le départ les deux univers. Peut-être qu’il peut se créer une nouvelle mouvance. Si c’est bien fait, ça peut donner une nouvelle matière, une nouvelle écoute. C’est une belle idée qui, correctement exécutée, peut véritablement impulser un mouvement.
"La musique doit rester un art simple, accessible, pour tous."
Avec les JO, on a pu constater, durant la performance de Gojira, que symphonique et métal pouvaient faire la paire. Peut-on envisager un futur événement Métal Symphonique joué par Radio France ?
Complètement ! Souvent les métalleux sont des artistes qui ont d’ailleurs une vraie sensibilité à la musique classique. Même si, sur scène, ils peuvent parfois faire peur, et ça semble être aux antipodes, j’en conviens.
Il y a un artiste avec qui vous aimeriez collaborer sur un projet symphonique ?
Véronique Sanson [Rires] C’est quelqu’un qui m’a beaucoup inspiré. J’aime sa vie, ses textes, son parcours musical. Ce n’est pas du hip-hop, ni du métal, mais c’est une des premières à avoir travaillé avec un orchestre philarmonique. Et ce travail chez elle m’a beaucoup marqué.
Quels sont les futurs projets à surveiller de l’orchestre ?
J’ai beaucoup de projets un peu crossover avec des orchestres symphoniques. Par exemple, je sors de trois mois de tournée à vélo avec un spectacle qui s’intitule Tour d’Orchestre à Bicyclette. Je pars sur un projet autour des chansons d'Allain Leprest, avec Clarika, Enzo Enzo, Cyril Mokaiesh et Romain Didier. Un spectacle qui s’appelle "Pink", je dirige également un opéra en mars prochain.
Que faut-il esquiver dans la musique classique et le hip-hop selon vous ?
Les personnes qui se prennent trop au sérieux, dans les deux ! On peut faire passer des messages sérieux. Sans oublier que la musique doit rester un art simple, accessible, pour tous.
C’est quoi la musique pour vous ?
C’est la vie. On ne peut pas vivre sans musique. Elle est partout, tout le temps pour la simple raison que ce sont les émotions et le partage. Dès le premier son, c’est notre corps qui se met en mouvement, ça renvoie à notre histoire ; qui va nous provoquer des sentiments automatiquement. C’est vital, la musique… ! On ne peut pas s’en passer. En fait si, il y a un son dont on pourrait se passer, c’est celui des supermarchés ! [Rires]