INTERVIEW
Publié le
27 mai 2024
L’artiste Alfie Templeman dévoilera son deuxième album intitulé Radiosoul le 7 juin prochain. Quatre titres issus de cet opus sont d'ores et déjà disponibles. On y entend le Britannique entremêler les genres avec une justesse quasi mathématique, tout en portant à travers ses paroles une réflexion sur lui-même ainsi que sur son époque. De passage à Paris, il confie à S-quive les détails de son processus de création, de ses inspirations à la composition de l’album, en passant par ses doutes et sa rétrospective intime. Rencontre avec un musicien complet, qui, de sa voix et de son talent, promet d’illuminer le paysage sonore estival.
Radiosoul arrive deux années après le remarqué Mellow Man, votre premier album. Qu’est ce qui a changé depuis ? Est-ce que vous avez observé une différence importante dans votre manière de faire de la musique ?
Honnêtement, énormément de choses ! J’ai déménagé de chez mes parents et je suis parti vivre à Londres. C’est mon monde qui a été bouleversé. Cet album est un processus de création complètement différent du premier, que j’avais quasiment entièrement enregistré chez moi à cause de la pandémie. À travers Radiosoul, à l’inverse, je parle de partir, de vivre le plus d’expériences possibles, de sortir de sa zone de confort.
Comment décririez-vous l’environnement de Radiosoul ?
Je dirais que c’est un environnement assez fou, très vibrant, désorganisé et intense. Il s’est passé beaucoup de choses, il y avait beaucoup de genres musicaux que je voulais mêler et enregistrer. Je me suis laissé porter dans une multitude de directions différentes. C’était très excitant.
Quelles ont été vos influences musicales pour cet album ?
J’ai été inspiré par beaucoup d’artistes ! Par exemple, Nile Rodgers avec qui j’ai terminé cet album, ce qui est totalement fou. Il y a les Daft Punk, Todd Rundgren, et Björk, par exemple. Je suis parti dans toutes les directions à l’image de l’atmosphère de l’album.
D’ailleurs, pourquoi ce nom Radiosoul ?
Quand je rendais visite à mes grands-parents, j’entendais la radio tourner du matin au soir. Cette radio, ils ne l’écoutaient pas vraiment. À travers Radiosoul, j’ai mis en parallèle la manière dont notre génération s’approprie les nouvelles technologies, s’en sert pour tout, et les prend comme une garantie pour n’importe quoi. Le résultat est que tout le monde est sur son téléphone. Alors j’ai simplement voulu revenir à cette vision de la radio et de la technologie comme quelque chose de spécial à posséder, qui n’est pas toujours présent. J’ai écrit l’album en pensant : "Allez dehors, vivez autant de moments incroyables que vous le pouvez, allez retrouver vos ‘soul’". Voilà l’histoire de la combinaison, radio et soul.
Funk, groove, jam, les titres de votre album rassemblent une multiplicité de résonances. C’est à l’image de votre état d’esprit en studio et de l’envie de vous laisser porter ?
C’est exactement ça. J’ai passé beaucoup de temps à écrire, j’ai été minutieux sur cette partie de mon travail. Mais quand j’ai enregistré en studio, tout était hyper spontané. À vrai dire, j’allais au studio sans savoir ce qui allait arriver, et j’espérais le meilleur.
Vous expliquez que le titre "Beckham" issu de votre nouvel album qui est sorti hier, est le morceau dont vous êtes le plus fier, pourquoi ?
Je pense que c’est le titre qui me ressemble le plus. En termes de production, je le trouve extrêmement réussi, et je suis particulièrement fier des paroles. Je les ai écrites en une seule fois et très vite. C’est un titre plein d’énergie et de spontanéité, et je suis heureux d’avoir obtenu cette atmosphère.
"Je suis arrivé à cette conclusion : comment les gens peuvent m’idéaliser quand je ne sais même pas qui je suis moi-même ?"
Une partie de l’inspiration de votre album vient de votre voyage aux États-Unis. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur cette période ?
Pendant un long moment, j’ai essayé d’enregistrer l’album moi-même, et pour différentes raisons ça ne marchait pas, je ne pouvais pas le faire. Je me suis dit : "Tu n’es pas ce grand producteur qu’il fallait pour cette création". J’ai réfléchi et j’ai remis en cause mes capacités à obtenir un résultat satisfaisant. C’est à ce moment que je suis parti à Los Angeles et Miami, des endroits bien plus chauds. L’Angleterre est un pays pluvieux, c’est parfois triste et gris, je voulais partir loin de ça pendant un moment pour m’ouvrir à d’autres horizons. Re-stimuler mon imagination. La météo a une influence importante sur moi, j’avais besoin de lumière et d’une atmosphère ensoleillée, positive, pour écrire des titres joyeux et énergétiques.
Radiosoul aborde les difficultés de la transition. Devenir adulte est parfois synonyme de grands changements et de doutes. Ces mots font écho à une jeunesse pour qui l’émancipation et l’acceptation est un processus difficile. Ce sont des sentiments qui vous ont animé à titre personnel ?
Oui, effectivement, je pense même que les paroles viennent de ce genre de sentiment. Il arrive que la période de transition entre le jeune homme et l’adulte soit inconfortable. J’ai écrit avec cette perspective dans mon esprit. Essayer de me comprendre, avec des questions telles que : "Qui suis-je et qu’est-ce que je veux ?" J’ai commencé ma carrière très jeune et je suis arrivé à cette conclusion : "Comment les gens peuvent m’idéaliser quand je ne sais même pas qui je suis moi-même ?" C’est mon travail de prendre ce sentiment et de le transformer en paroles. J’ai mis mes émotions sur la table, j’ai fait le tri et j’ai essayé d’en faire quelque chose de bien. C’est ma manière de faire.
L’album fait aussi référence aux périodes stimulantes comme les tournées, la promo, où vous êtes socialement hyper sollicité. Comment est-ce que vous gérez le retour au calme, chez vous, qui représente une autre période de transition ? La transition qui est un sujet dominant dans Radiosoul…
C’est très bizarre ! Je me laisse porter par la tournée, je vais dans plein d’endroits différents, et c’est difficile de retourner à presque… rien. Le silence. Être statique. Pendant un long moment je vivais chez mes parents au milieu des champs, à la campagne. Tu peux te sentir isolé quand tout est en mouvement autour de toi, et que du jour au lendemain, tu te retrouves dans un endroit calme et silencieux. C’est pour cette raison que j’ai écrit la moitié de l’album, je revenais et rien ne se passait. J’ai pensé que c’était un contraste extrêmement intéressant.
"Je pense que les musiciens devraient esquiver, dans cet ordre : la drogue, le manque de sommeil et la guitare basse !"
Quand vous êtes passé par ces émotions, quel est le déclic qui vous fait penser : "Ça y est, je veux écrire à ce sujet" ?
Je ne crois pas qu’il y ait nécessairement un moment. Tout s’est passé sans que je n’en prenne conscience. En revanche, j’ai beaucoup documenté ce que je traversais dans ma vie à des moments bien précis. Quand je sors un EP ou un album, je préfère vraiment avoir un support sur lequel m’appuyer, avec des mots importants. De cette manière, je peux regarder en arrière et me dire : "OK, c’est ça que j’étais, c’est ce que je ressentais". Je suis passé par une multitude d’émotions telles qu’apprendre à grandir, et naturellement, j’ai écrit à propos de ça. Finalement, c’était un long moment pour moi, plus qu’un déclic.
Dans le titre "Eyes Wide Shut", vous écrivez : "Le futur est trop intense". À quoi faites-vous référence à travers ces mots ?
Ces mots font référence aux médias sociaux. [Rires] J’ajouterais que quand je voyage, que je suis dans un avion, ou un train, je me pose beaucoup de questions existentielles. Je pense trop, et à propos de beaucoup de choses. C’est à ce moment que j’ai écrit cette phrase.
On sait que la façon dont sont vus les artistes évolue en fonction des générations et des époques. Aujourd’hui, les messages portés dans les morceaux comptent beaucoup. Est-ce que vous vous voyez écrire un album encore plus engagé prochainement ?
Oui, je pense ! Même si ça dépendra de ce qui m’arrive dans les prochaines années. Habituellement, j’écris des textes personnels et intimes, c’est presque une biographie. Donc pour que ce soit engagé, il va falloir que je passe par des choses folles ! Et j’écrirais dessus. Donc peut-être.
Vous expliquez que vous avez du mal à parler de vos sentiments, mais qu’à travers la musique vous y trouvez un appui. Est-ce que vous voyez la musique comme un exutoire ?
Exactement. Les artistes parlent de leurs sentiments dans les musiques, les gens les écoutent et ça leur procure des émotions en retour. J’écris pour me libérer et m’exprimer, en espérant que ça ait un sens pour d’autres.
"La façon dont les gens consomment les médias et la musique, a beaucoup changé."
Vous évoquez l’impact des médias sociaux en général. Et vous, quel est votre rapport à cela ? À la visibilité ? Aux vues ? D’autant plus que vous avez débuté sur YouTube…
Oui, et c’est une bonne chose ! Tout a tellement changé depuis ! Je viens de l’ère YouTube où tout le monde aimait les clips vidéos, les longs formats en général. Donc j’essaie toujours de comprendre les formats TikTok, les réels. Je ne sais pas comment on peut condenser autant d’informations dans une si courte vidéo. La question des algorithmes est aussi très intéressante, est-ce que l’on choisit vraiment ce qu’on regarde ? L’attention a dramatiquement baissé récemment. La façon dont les gens consomment les médias, la musique, a aussi beaucoup changé. La plupart des morceaux aujourd’hui durent 3 minutes ou moins, et c’est normal. C’est très bizarre ! Avant, certains titres duraient 30 minutes, c’est ce que les Beatles pouvaient proposer et j’aimerais revenir un peu plus à ce format. J’essaie honnêtement de comprendre l’univers des médias. J’ai parfois l’impression que mon travail consiste à être créateur de contenus plutôt que musicien.
Il y a le format vinyle qui permet encore de s’attarder sur chaque album et de profiter de la composition dans son entièreté…
Exactement ! C’est ce que j’ai voulu faire avec toutes mes créations jusqu’à maintenant. J’ai toujours aimé les vinyles. J’aime simplement l’idée d’un album, de l’avoir matériellement avec la première face, deuxième face, tout ton travail est dedans. C’est vraiment ce que j’aime.
Qu’est-ce que vous pensez qu’il faut esquiver en tant que musicien ?
[Rires] C’est une question géniale ! Je pense que les musiciens devraient esquiver, dans cet ordre : la drogue, le manque de sommeil et la guitare basse !
"Radiosoul", le nouvel album d'Alfie Templeman sortira le 7 juin prochain.
Plus d'articles