INTERVIEW
Publié le
10 février 2023
Artiste mélodieux à l’univers rap avant-gardiste et novateur, 8Ruki sortira son premier album : INT8TION le 17 février prochain. Avec un début remarqué sur la plateforme de distribution audio SoundCloud en 2017, le rappeur affirme une nouvelle fois sa singularité et son identité créative. Véritable polymathe dans son domaine, il livre sa vision artistique, son attache inconditionnelle à la musique et sa collaboration avec So La Lune.
Comment votre professionnalisation en tant qu’artiste est-elle arrivée ?
J’ai été très soutenu, notamment par ma mère qui croyait beaucoup en moi et qui m’a toujours poussé à continuer et à avoir confiance en ce que je faisais. Elle garde un œil sur tout ce qui m’entoure. Cette interview, par exemple, elle va la lire ! [Rires] Grâce à elle, j’ai aussi eu la chance de voyager beaucoup, ce qui m’a permis de mieux appréhender des cultures différentes, et ça passe évidemment par la musique. Dès mes débuts sur SoundCloud (2017/2018), j’avais conscience que je proposais quelque chose de nouveau et qui me différenciait déjà de ce qui se faisait à l’époque, mais la musique représente une passion pour moi donc j’ai évidemment continué. Je suis bien aujourd’hui, la musique m’a permis d’atteindre ce que je voulais, d’être un peu épanoui. Je suis satisfait de ce que je fais, de ce que j’envoie, et j’essaie de l’entretenir. C’est très important pour moi.
On entend beaucoup parler de ces rappeurs "new wave" ou "rookies", une génération d’artistes qui s’apprêterait à dominer le rap et qui lui donnerait un souffle d’air frais... 8Ruki est-il un rookie du rap français ?
En France, on aime bien catégoriser les rappeurs. Au final, je pense que je serai toujours un rookie du rap français, parce que ça revient à dire que ma musique est fraîche, qu’elle reste jeune. On dit de moi que je suis un rookie depuis 2017, donc j’espère en rester un jusqu’à devenir un OG...
"J’ai toujours envisagé la musique comme une forme de partage et de rencontres."
Le titre "Many Mane", d’ailleurs présent sur l’album, a été tourné à Montréal, et reste très cohérent avec votre univers musical. Travailler son image et l’allier au son, c’est essentiel pour vous ?
Oui, c’est primordial. J’essaie d’être très polyvalent et de proposer quelque chose qui me ressemble, que ce soit dans ma musique, dans l’image que je délivre, dans les covers de mes projets, dans ma DA etc… Je pense que c’est important de savoir déléguer parce que je ne peux pas tout faire et surtout, d’autres personnes sont plus compétentes que moi pour gérer tout ça. Mais c’est essentiel pour moi d’y contribuer et de délivrer ma vision et mon univers.
Vous avez un héritage musical très riche...
Oui, j’ai beaucoup consommé du rap US, surtout Lil Wayne, ASAP Rocky... Quoiqu’on en dise, la culture rap US a toujours inspiré le rap en France, et même ailleurs. Selon moi c’est normal, ça vient de là-bas ! Mais j’ai aussi grandi avec le rap français, qui proposait déjà une grande richesse culturelle et musicale. Je me souviens de "Pour Ceux" de la Mafia K’1 Fry, ça nous avait tous marqué à l’époque. Et le plus fou, c’est qu’on entend encore parler d’eux aujourd’hui, ça a traversé des générations.
Vous avez commencé à collaborer à l’international dès vos débuts. Aujourd’hui, le rap est marqué par cette universalité et les connections européennes ont fait leurs preuves. Étiez-vous avant-gardiste ?
Évidemment, c’est le moment ! Depuis mes débuts, je collabore avec des artistes un peu partout, avec Rowjay (Montréal), Lyonzon (Lyon), JMK$ bien sûr (Marseille), mais aussi à Bordeaux, en Suisse... Je ne sais pas si c’était avant-gardiste, mais j’ai toujours envisagé la musique comme une forme de partage et de rencontres. Récemment on voit très bien que les connexions ne se limitent plus à la France, je pense au 667 et à Freeze Corleone et Central Cee. C’est l’exemple typique de ce qui fonctionne ! En plus c’est très quali, donc autant élargir la palette musicale...
Dans votre album, on retrouve une collaboration avec le rappeur So La Lune, sur le titre "Lune". Comment votre rencontre s’est-elle opérée ?
On s’est d’abord rencontré par l’intermédiaire d’un ami. Puis à force de se croiser à certains événements, en séances studio, de se soutenir, et de suivre nos univers respectifs, on a établi une réelle connexion. C’est important pour moi de bien connaître l’artiste avec lequel je collabore, je privilégie toujours le contact humain et le feeling. Honnêtement, tout s’est fait très simplement, et c’est lié au fait que c’est un très bon gars. On a réussi à faire un bon morceau, même si on a deux univers qui ne se ressemblent pas du tout.
"La force de 'INT8TION', c’est le sens, les prises de risque, l’histoire et surtout la polyvalence."
Deux univers qui ne se ressemblent pas, mais qui se complètent bien...
Exactement, on ne propose pas la même musique. Mais au moment de l’écriture du morceau, tout était très fluide, c’est une des rares fois où j’ai un si bon souvenir d’une séance studio. On a beaucoup rigolé. En fait, on était potes avant d’envisager une collaboration ensemble, donc c’est forcément plus simple et honnête dans la relation. Ce qui est drôle c’est que tout a été filmé depuis mes débuts dans le rap, dont cette séance studio. Qui sait, on en sortira peut-être un documentaire Netflix ?! [Rires]
INT8TION est entièrement produit par Binks Beatz, une figure incontournable de la production du rap francophone. Ce n’est pas la première fois que vous travaillez ensemble, peut-on parler d’un combo gagnant ?
C’est très gratifiant en tant qu’artiste, on avait beaucoup collaboré, notamment sur le projet commun avec JMK$, dont un de ses titres avait été produit par Binks. Binks X 8Ruki, c’est clairement un combo gagnant car on rafraîchit chacun la musique de l’autre et, selon moi, ça donne de très bons morceaux ! Le reste, les gens le décideront...
Comment avez-vous imaginé ce premier album ?
En réalité, mon projet d’écriture avait commencé avant PoweredByRuki — un projet musical précédent — mais cette fois, je l’ai vraiment pensé comme un album. Parfois, il y a quand même certaines incohérences parce que, comme je l’ai commencé il y a un petit moment, ma vie a aussi changé. J’avais, par exemple, arrêté de fumer, et puis finalement j’ai repris, donc plusieurs thèmes se mélangent un peu. J’ai aussi exploré ma voix différemment, notamment dans mes toplines : j’avais l’habitude de les ajouter une fois le morceau terminé, et puis pour certains morceaux j’ai inversé le processus en commençant par les poser, pour ensuite construire le texte autour. En fait, le titre "Intuition" est très révélateur : je me suis fait confiance, j’ai pioché dans plusieurs registres et j’en ai fait un album qui me ressemble. Et le public aussi peut l’interpréter un peu comme une intuition. C’est vraiment propre à chacun.
Et quelle est sa force ?
La force de INT8TION, c’est le sens, les prises de risque, l’histoire et surtout la polyvalence. Même s’il n’y a pas de storytelling à proprement dit, il y a une histoire, des choses cachées…
Vous êtes sur le point d’entamer une tournée partout en France, comment appréhendez-vous la rencontre avec les personnes qui vous écoutent ?
C’est ma première tournée mais je partage beaucoup avec mon public donc c’est un peu comme s’il me connaissait déjà. Je suis assez serein mais forcément aussi un peu excité. J’ai hâte de revoir les personnes qui m’écoutent et qu’on continue à passer de bons moments ensemble. Je ne suis pas vraiment stressé par la scène, au contraire ! Par contre, je sais qu’il va y avoir un rythme effréné, ça va être intense et avec très peu de repos.