ARTS
Coiffures saisissantes sur fonds de couleurs vives. Impossible de manquer les photographies de Laetitia Ky exposées à la biennale Photoclimat, place de la Bastille. Présent jusqu'au 15 octobre prochain, l’évènement vaut le détour.
6 millions d’abonnés sur TikTok et près de 500 000 sur Instagram. Ces dernières années Laetitia Ky a séduit les réseaux sociaux avec des autoportraits vibrants et chargés de sens, dans lesquels les cheveux deviennent un outil politique singulier. Cette fois-ci, elle expose place de la Bastille.
Après une première exposition dans sa ville natale à Abidjan, une deuxième au pavillon ivoirien de la biennale de Venise en avril 2022, suivie d’une exhibition "Des cheveux et des poils" au Musée des arts décoratifs au printemps dernier, les oeuvres de Laetitia Ky ont plus d’une fois suscité l’admiration. Âgée de 27 ans, l’artiste s’empare cette fois-ci de la place de la Bastille avec sa collection "Love and Justice" pour la Biennale de Paris dans le pôle "Femmes". Les 16 photographies de sculptures capillaires singulières y sont accompagnées de textes écrits par la jeune femme.
Biennale environnementale et sociale, gratuite et en plein air, Photoclimat se tient à Paris et dans son agglomération durant un mois cet automne. À travers différents pôles : engagement associatif et transformation de vie, biodiversité, femmes ou encore conflit, climat et résilience, la biennale souhaite accompagner la prise de conscience du public sur différents enjeux sociétaux via l’art. À l’occasion de l’inauguration de l’exposition située dans le 11ème arrondissement de Paris, Laetitia Ky partage son ressenti sur Instagram et TikTok le 15 septembre dernier. "Il s’agit non seulement de la première fois que mes images sont exposées à une telle échelle (les photos sont très grandes), mais c’est aussi la première fois que mes textes sont exposés simultanément, ce qui rend cette expérience tout à fait particulière. Ma voix trouve ainsi une résonance doublement précieuse", confie-t-elle. Posant devant l’imposant étalage de son art, la jeune artiste affiche un sourire radieux et communicatif.
Difficile à croire aujourd’hui. La jeune femme n’a pas toujours perçu ses cheveux naturels comme une force. Née en 1996 à Abidjan (Côte d’Ivoire), elle a longtemps été confrontée à la mode du défrisage : cette technique chimique de lissage qui, outre le fait d’engendrer des brûlures du cuir chevelu et de la peau, véhiculait un message de rejet du cheveu crépu. Elle n’avait, en effet, jamais vu de femme africaine exhiber ses cheveux naturels avant d’avoir 16 ans.
"Si je n’avais pas trouvé, il y a de ça quelques années, cet album photo regroupant plus de 100 femmes africaines portant des coiffures de l’époque précoloniale, je ne me serais sûrement jamais lancée !", publie-t-elle sur Instagram en mai 2022. Depuis cette découverte, la future artiste célèbre ses origines et s’exprime en maniant ses cheveux. Petit à petit, les formes esthétiques créées deviennent politiques.
"Dans cette société-là (précoloniale), la coiffure ce n’était pas seulement pour faire joli, c’était aussi pour communiquer", expliquait l’artiste au micro de TV5 Monde à l’occasion de son exposition au Musée des arts décoratifs. Les figures érigées à l’aide de fils de fer, d’extensions synthétiques, d’aiguilles et de ciseaux, défendent de nombreuses causes, puisées dans le vécu de la sculptrice.
Laetitia Ky prend position sur des thèmes sociétaux tels l’égalité des sexes, l’éducation sexuelle, l’oppression du corps de la femme, la maternité, la beauté noire, l’identité, et bien d’autres. Sur les réseaux sociaux, ses messages sont engagés et bienveillants, laissant transparaître force, sensibilité et rebellion. Des valeurs qui habillent la place de la Bastille ce mois-ci.
Si elle est avant tout célèbre pour ses sculptures capillaires, Laetitia Ky explore divers autres formes d’expression. Artiste polyvalente, au-delà de la sculpture et de la photographie, elle se passionne aussi pour l’écriture. Le 5 avril 2022, elle publie son premier ouvrage Love and Justice du même nom que sa collection, dans lequel sont rassemblés photos et textes sur les thèmes qu’elle se consacre à défendre. "J’espère montrer au monde, et en particulier aux jeunes femmes, qu’en travaillant dur et en faisant preuve d’une détermination farouche et d’une passion inaltérée pour ce que l’on fait, tout est possible", décrit-elle, mettant en avant la volonté et la persévérance qui la caractérisent.
Sculpture capillaire, photographie et peinture. Laetitia Ky ne s’en arrête pas là pour autant, prenant soin d’inscrire son nom dans la sphère de la peinture. "Sur internet où tout le monde scroll, créer des images qui interpellent peut pousser les gens à essayer de comprendre le message et donc à en retenir quelque chose. L’expérience de ces femmes-là est en réalité bien plus traumatisantes que ces images qui choquent", raconte la jeune femme auprès de Vanessa Abba, journaliste Arte. Des toiles saisissantes qui invitent le public à s’interroger sur la scène contemplée, chargée de symboles.
Projet à venir, une bande-dessinée dans laquelle "l'héroïne utilise ses cheveux en forme de main pour combattre le crime à Abidjan" partage l’écrivaine dans une interview au Beaux Arts Magazine. Depuis son pays natal, la Côte d’Ivoire, Laetitia Ky a su se faire une porte-parole du féminisme à travers le monde. Soucieuse de bousculer les consciences par l’art, sa créativité ne connaît pas de frontières.