MUSIQUE
TIF c’est un artiste qui déroute pour remettre du sens. Tifou c’est un frère d’armes, le glaive au cœur, le cœur à la main. Toufik Bouhraoua, c’est l’autre dans sa plus belle définition Sartrienne. Son art propose une version 1.6 de notre monde. Un angle de vue aux courbes jalousement humbles. Une nuance aux éclats de sincérité. De la justesse élégante en parure d’amour vrai. Des mots simples en noblesse de geste. TIF, c’est cet artiste qui prend le temps de vous saluer, de vous regarder dans les yeux sans détour, d’échanger avec vous sur vos passions, votre parcours et qui vous êtes. Voilà bien une personne qui, en backstage, remercie l’ensemble de l’équipe présente, remercie de l’attention qu’on lui porte, remercie des mots qu’on lui offre et qui tente de rendre la pareille. Le feu étoilé que propose TIF explore le rap, la musique andalouse et chaâbi pour définir un visage intime et empathique du monde. Des paroles du bout des terres, des fonds des océans, sur des airs planants. Tout ça prend une ampleur palpable en live. Particulièrement lorsque son sourire irréductible révèle un bonheur communicatif. C’est dans ce cadre, toujours particulier, du concert que S-quive a pu prendre la dimension d’un rappeur qui ne pense définitivement pas comme les autres.
Entre soleil, pluie et printemps hivernal, le compositeur traduit une nostalgie des temps modernes. Sa musique a créé un mouvement de (re)nouveau dans le rap. Une démarche que "Tonton du bled" de 113 a engagée il y a 25 ans. Cette vision perdue dans l’histoire, c’est celle du melting-pot. L’équilibre intérieur de nos origines dans tous ses aspects. Tifou mélange des musiques, des esthétiques, des écritures, des attitudes, des philosophies et des références venues de son héritage culturel. Algérien, Francais, Andalous, Américain, Japonais, le rappeur est un être à 500%. Il s’imprègne de toutes ces cultures, pour les faire siennes en chansons. Un jutsu dont le hip-hop en est le spécialiste, lui qui est un art de semple, et dont le rappeur se place en héritier direct. Si on va au-delà de la musique, avec son nindo, Toufik est une personne nuancée, spontanée, vivante. Ce qui le conduit à devoir être en lutte constante.
Car nous nous méfions d’un auteur qui propose une réflexion équilibrée. Ça cache forcément quelque chose. Il y a forcément une imperfection qui prouvera la fausseté du propos. Alors, nous cherchons la faille aveuglement. Au petit bonheur la chance, s’il le faut, nous fabriquons le scoop qui fera éclater la vérité. Quitte à en oublier l’être humain qui se trouve en face de vous. Aveuglé par une vision commerciale 2.0. Une critique d’une raison pure inimaginable, impossible, chez un rappeur ; parce que nous le savons bien que c’est ainsi. Ce regard de somnambule empêche la rencontre. Pire encore, elle désincarne, retire le sens et obvie l’art. Un comportement dramatiquement, normalisé des héritages 1.5. Faussement dans l’ère du temps, inondé de considérations, d’avis et de critiques par des supports auxquels nous faisons confiance par habitude. L’incompréhension qui en résulte marque une cicatrice chez l’être humain au cœur de l’artiste. Une douleur fantôme ravivée par des clichés, des jugements à l’emporte-pièce, des raccourcis sur un art que nous ne prenons pas le temps d’entendre parce que la semaine prochaine il y a la nouvelle trend.
TIF est de ceux qui romantisent la rue. Tout ce qu’il veut, c’est aimer. Il tente de refléter un beau paysage sur un écran dévasté. Il n’y a qu’en mettant le feu aux océans qu’il est à sa place. Lui, qui apparaît tempéré sur terre. Il devient édenien lorsqu’il chante ses premiers airs sur scène. Il emporte la foule instantanément. Solidement ancré dans sa volonté de créer le bonheur plutôt que de l’attendre. Son concert est une leçon de partage. Tout de noir vêtu, c’est un live plein de couleurs que vous entendrez. Cela sonne juste parce que cela semble vrai. Il y a un plaisir visible dans le sourire de celui qui chante, dans ceux qui jouent avec lui, dans celle qui produit tout ça…et dans le public. Une spontanéité qui, pour un rappeur, fait plaisir à retrouver dans la quantité d’artistes, de managers, d’attaché(e)s de presse qui, aujourd’hui, calculent absolument chaque mot. Ne soyons pas naïfs, c’est normal de réfléchir à un plan de carrière pour durer dans le temps. Cependant, rien n’empêche d’y préserver de soi. Cet équilibre fragile c’est auprès de sa famille que l’Homme et le rappeur l’ont trouvé.
Un clan formé par ses musiciens. Une famille à l’esprit libre. Un village caché dans le vent pour tout à chacun. Indestructible et indivisible. L’artiste, c’est toute l’équipe qui accompagne le visage médiatique du moment. Sur scène, nul doute que tous ne forment qu’un. L’énergie qui s’en dégage est communicative au point d’unir les spectateurs comme il n’est pas banal de le constater. Le Chapiteau de Nancy Jazz Pulsations battait à l’unisson pendant presque 2h. Ce qui reste le plus passionnant à entendre dans ce live, c’est la qualité de jeu remarquable, et les arrangements qui font ressortir chacun des acteurs du morceau en harmonie. Il semble que TIF soient de ces artistes qui ont su s’entourer dans la musique, comme dans la vie. Ça offre, pour le public, cette chose après laquelle nous courrons tous : la certitude qu’accompagné de ses gars sûrs, demain c’est bien.
Pas simple de conclure pour présenter TIF. Un homme réservé, un artiste discret. Une musique mélancolique baudelairienne. Un mal de mer face à la société. L’avenir est un long passé que le chanteur a longuement étudié. Ça donne à sa musique une valeur presque historique et sociétale. Vivre ce qu’il est l’a guidé vers un chemin que rarement dans le hip-hop d’aujourd’hui on entend. Si bien sûr il y a d’excellents poseurs, des mélomanes de talents et des poètes à la plume virtuose, force est de constater que nombre de projets prennent l’apparence de commande. "Le rouge du soir est l’espoir d’un beau temps au matin", voilà bien l’expression italienne idéale pour décrire les cirrus vifs que TIF propose dans la pluie de projets qui tombent chaque semaine.
Des visages et des figures, des attaches et des ligatures, c’est ce que propose de distinguer la musique du label Houma Sweet Houma. C’est sur "S12" que les derniers mots se posent d’eux-mêmes. Une référence pour une mise en abyme qui nous plonge dans une lumière infinie. Si, pour l’instant, le rêve semble parfait, il convient de rester les yeux grands ouverts pour apprécier l’album de TIF. Il nous faut esquiver les écueils des raccourcis et des tendances pour considérer les projets actuels et à venir du rappeur. A voir la passion du public durant le concert de Nancy Jazz Pulsations, nous pouvons espérer un ciel rouge ce soir.
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