INTERVIEW

Souffrance : “Avec 'Hiver automne', j’ai voulu étendre mon identité.”

Publié le

17 mars 2025

L'album Hiver automne de Souffrance est un projet musical qui se distingue par son ambiance sombre et introspective. Il y invite Soprano, Isha et Jewel Usain pour explorer une identité nouvelle avec une virtuosité de kickage, de poésie et de technique. Entouré par Tony Toxik et Chilly Gonzales (également en duo sur le projet), cette facette différente de l’âme hip-hop de Souffrance insuffle une œuvre ambitieuse. Le projet plonge l'auditeur dans un univers dystopique, oscillant entre le réel et un monde en ruines inspiré par Blade Runner et Sin City. Comme à son habitude, la plume de l'écrivain exigeant de Montreuil aborde les thèmes de manière crue et percutante, et reflète une réalité difficile. L'atmosphère est à la fois sombre et dansante, avec des sonorités trap et des touches de piano mélancoliques. Une musique qui agit comme un phare dans l’obscurité la plus angoissante. Un album qui va bien au-delà du rap. C’est un projet de culture. C’est un art qui vise la durée pour inscrire à jamais son nom dans l’Histoire. S-quive a rencontré le rappeur pour échanger sur un projet plein d’espoir. Le concert à l’Olympia le 20 mai prochain, et la tournée dans l'hexagone, seront l’occasion de construire en live un monde plein de Souffrance.

Souffrance ©DR

Ce nouveau projet tend vers la trap. Cette direction s’est prise naturellement ou c’est un choix dès le départ ?

C’était une décision prise dès le départ. On retrouve toujours des sons boom bap malgré tout. A la base je voulais un album plus “sombre”, avec des sons puissants. J’ai réussi à trouver un équilibre avec des sons plus aériens dans des titres comme “Tango”, le feat avec Chilly Gonzales. Ça donne ce côté plus “lumineux”. Nous ne cherchions pas du tout, ça s’est fait naturellement ; je suis content qu’on puisse aussi le ressentir comme ça. Ce que je me pose comme question, c’est de pousser l’identité Souffrance. Le passage du rap Old School à ce que que je propose sur Hiver automne, c’est avant tout dans cette recherche. Avec Tony Toxik, nous sommes donc partis d’une page blanche. C’est totalement différent, sans oublier le reste de notre identité avec le sampling, les productions à l’ancienne, le soin de l’écriture. Je ne sais pas si c’est une meilleure version de soi-même. C’est un autre aspect qui complète le portrait de Souffrance.

Dans notre précédent échange, vous avez dit qu’avec Eau de source vous vouliez "faire un album de référence et qui répond à la question : qu’est-ce que c’est le rap ?". Qu’est-ce que vous voulez faire pour le rap avec cette nouvelle proposition ?

Avec Eau de Source, j’étais effectivement dans la quête de ce que je nommerai le “rap pur”. Dans Hiver automne, certains titres ne sont pas vraiment de rap. Il y a plus de digressions musicales. Rien que dans les instrus, j’ai puisé l’inspiration dans des musiques totalement différentes. Même si j’ai toujours exploré la musique, mais, par exemple dans Tour de Magie je voyage dans mes prods, mais je reste à mon sens dans du rap. Pour autant, je pense qu’avec ce nouveau projet je préserve une “âme rap”, c’est le plus important.

"Par hasard, nous nous retrouvons avec Chilly Gonzales à manger ensemble en janvier, et ce repas aboutit au premier titre du nouvel album "Barbecue en hiver"."

Votre duo avec Chilly Gonzales est comme un interlude dans cet album. Beaucoup plus calme, plus philosophique encore. Il semble aussi être une véritable rencontre entre vous deux, tant d’un point de vue artistique qu’humain. Comment s'est créée cette chanson ? Qu’est-ce que vous retenez de Chilly Gonzales et qu’avez-vous appris de cette collaboration ?

Chilly Gonzales est un passionné de rap. Il a envoyé un message à MAXKDCH, qui est pianiste sur le titre “Score” pour lui dire qu’il a énormément aimé la production. Finalement, on est amené à se parler. Un quiproquo nous conduit à nous rencontrer, nous pensons tous les deux que l’un invite l’autre pour un barbecue en hiver dernier, alors que pas du tout ! Donc par hasard, nous nous retrouvons à manger ensemble en janvier, et ce repas aboutit au premier titre du nouvel album « Barbecue en hiver ». C’est incroyable, parce que ce moment de vie totalement imprévu fut le point de départ de l’album. Avec Tony Toxik, nous voulions créer une identité musicale. Une identité ça ne peut pas se résumer à un aspect, c’est fait de plusieurs facettes. Pour faire le lien avec tout ce que je dis, Chilly Gonzales a énormément contribué à construire cette identité. Ça a permis d’aboutir à une musique plus “grande” si je peux dire.

Votre duo avec Soprano, en revanche, est plus direct. Il semble être plus du kickage et de l’egotrip avec une dénonciation sociétale qui rappelle ce qu’on nomme le dernier âge d’or du rap début 2000. A l’écoute, on a le sentiment que cela vous semble urgent de proposer ce titre. Est-ce que c’est le cas ? Pourquoi avec Soprano ?

Soprano m’a invité à son Planète Rap. J’y ai posé le début de ce morceau en freestyle. Après l’émission, nous avons discuté. J’ai compris qu’il était partant pour faire quelque chose ensemble. Je lui ai proposé de poursuivre ce freestyle. Là encore, c’est simplement de la rencontre humaine qui a donné un titre dingue. C’est un honneur et une joie qu’il ait accepté. C’est une légende du rap !

Ce projet s’inspire énormément du cinéma. Entre esthétique Blade Runner et des productions qui pourraient parfaitement s’intégrer à des mangas comme L’attaque des Titans. C’est quoi la place du 7ème art dans ce projet ?

Ce sont des références cinématographiques de jeunesse. Des visions, des esthétiques et une façon de proposer qui m’ont marqué. Notamment le cinéma de Quentin Tarantino, dont j’aime la folie ! En revanche, je ne peux pas te cacher que j’ai du mal à rentrer dans le cinéma d’aujourd’hui, les Marvel je n’adhère pas du tout, par exemple. Le cinéma ne fait donc pas parti de mon quotidien réellement, ça n'empêche que c’est un art qui m’inspire. Et sur cet album, je voulais une identité visuelle dans un style Blade Runner. Côté manga, je n’ai pas vu L’Attaque des Titans. Je connais, bien sûr, mais je suis resté bloqué au Club Dorothée. Mes repères sont Les Chevaliers du Zodiaques, Catseye ou Dragon Ball Z. C’est le même genre de mangas, je pense. Tu retrouves un esprit commun. Ça peut expliquer ton impression, parce que ces classiques des années ont forcément imprégné quelque part ma musique.

Dans "Bizon", vous dites : “Ils n’écoutent pas la musique”, ça m'a fait penser à une punch de Vald qui a dit : "J’adore être pris pour un abruti par des gens qui écoutent bêtement la musique”. Est-ce que vous avez le sentiment qu’on mésestime cet art ?

Je ne pense pas, non. Parce qu’il y a de plus en plus de monde qui en écoute. La musique est devenue beaucoup plus importante qu’avant dans le quotidien des tous. Donc il y a plus de façons différentes de consommer cet art. Quand tu prends TikTok par exemple, tu peux devenir une “star” (entre guillemets) en faisant de la musique de ton côté en quelques clics. Tu mets de la musique dans tous tes posts Instagram. Ça donne l’illusion que c’est bien parmi d’autres, donc qu’on mésestime ce qu’elle est. Mais ça a toujours été un “produit” culturel. Même si la musique est un art, le cd, la cassette, le vinyle, et tout le merchandising, c’est du business. Et c’est normal ! Seulement, aujourd’hui nous nous focalisons un peu plus dessus, parce que c’est ainsi pour le moment. Ça passera et nous aurons le sentiment que la musique est redevenue un art ; même si ça l'a toujours été et le sera toujours. Après, pour reprendre ta question, il faut que tu prennes la phrase en entier : “Ils n’écoutent pas la musique eux, ils sucent des qu****”. Elle veut dire deux choses cette phrase. La première, j’ai l’impression qu’aujourd’hui la musique est quelque chose de plus identitaire parfois. Je me range dans le clan, je te dis à quel côté j'appartiens en mettant tel titre en fond sonore. On n’écoute pas la musique, on valide un artiste et son mode de vie sans se poser la question de l’art. La deuxième chose que cette phrase veut dire, c’est également qu’on écoute un artiste parce qu’il est à la mode, et socialement c’est bien de le mettre en fond pour être accepté. Là encore, la question de l’artistique ne se pose pas, ça n’est que de l’apparence. On n’écoute pas la musique, on suit le mouvement global et on se plie à la foule.

"La reconnaissance de ses pairs et des gens que tu respectes dans le milieu que tu aimes, c'est très important."

Une tournée se prépare, pendant celle de Eau de source, il y avait une force tranquille captivante sur scène. Avec ce projet plus sombre, à quoi peut-on s’attendre en live ?

Nous sommes encore en train de réfléchir à la mise en scène. J’ai quelques scènes pour tester des idées précises et affiner le show en vue de l’Olympia le 20 mai. Ce qui est certain, c’est qu’avec ce nouveau projet l’ambiance ne sera pas la même. On retrouve cependant toujours l’esprit et l’âme Souffrance.

Souffrance ©DR

Népal chantait dans le titre “Trajectoire” : “Au bord de la mer je ne saurais même pas quoi y faire, je vis mon rêve en silence et je me prépare pour l’hiver”. Qu’est-ce que l’hiver apporte de si unique à la musique et à l’esprit ?

Je ne sais pas si ça apporte quelque chose d’unique à la musique. Ce que je sais, c’est que cette saison est propice à la création. C’est un mood dans lequel je peux rester longtemps pour cette raison.

On entend ici et là dans cet album que vous vous questionnez sur votre rapport à la musique. Vous dites d’ailleurs : “Je fais ça pour le salaire”. Si gagner sa vie est bien sûr essentiel, qu’est-ce qui motive votre art également ?

D’une part, de faire de la musique par passion. Mais la productivité, l’entrainement, les exercices, la discipline que tu t’imposes relèvent du travail. Si je fais tout ça, c’est forcément pour l’argent. Parce que si je voulais faire uniquement de la musique par passion, je le ferais limite à côté. Ça ne veut pas dire qu’on est mercantile en faisait ça que pour la finance. Parce que ça n’enlève rien à l’exigence de préserver l’âme hip-hop dont je te parlais plus tôt. Et ça, c’est pour la deuxième raison : celle de vouloir inscrire son nom dans l’histoire du rap. La reconnaissance de ses pairs et des gens que tu respectes dans le milieu que tu aimes, c'est très important. La dernière raison, c’est pour le challenge. Quand tu arrives dans ce qu’on appelle “le rap game”, tu comprends l’importance de relever des défis, se pousser vers l’avant et que tu peux être éliminé du jeu tout simplement. Une dernière raison, même si je ne vais pas jusque-là, lorsque je compose, c’est l’héritage que je laisse à ma famille. Là encore, le côté financier, avec les droits d’auteurs bien protégés en France, ça rassure, parce qu’on se dit qu’on laisse quelque chose à ses enfants.

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