INTERVIEW

Mickael Carpin : "Un vêtement peut avoir plus de force qu’un talent."

Publié le

29 septembre 2024

Styliste français reconnu pour son travail audacieux et visionnaire, Mickael Carpin guide avec passion les personnalités influentes qu’il accompagne, à l’instar des mannequins Cindy Bruna et Jordan Barrett, de l’artiste Precious Lee ou encore du footballeur Achraf Hakimi avec qui il a collaboré pour L’Officiel. Sa capacité à allier élégance et modernité, mais aussi à comprendre la vision des talents, lui a permis d’imposer sa signature. Celle de la liberté artistique qu’il revendique, avec des propositions bien pensées et à contre-courant. Depuis près de 10 ans, il collabore avec sa muse Cindy Bruna, explorant des horizons stylistiques inédits. Pour S-quive, il raconte son parcours, sa démarche créative et son envie d’élargir toujours plus le champ des possibles.

Mickael Carpin

Qu'est-ce qui vous a attiré vers le stylisme de mode ?

Je suis tombé dedans grâce à ma mère qui avait concouru pour Miss France. Elle avait déjà cette rigueur sur l’image. J’ai aussi une tante qui était mannequin, la petite sœur de ma mère, et celle qui me gardait souvent. Quand elle avait un casting ou un shooting, elle m’emmenait avec elle. C’est ainsi que j’ai éduqué mon œil. Avec le temps, ma vision et ma signature stylistique se sont dessinées.

Quels artistes ou designers vous ont inspiré ?

Je dirais Jean Paul Gaultier et Paco Rabanne, qui ont vraiment été mes deux idoles en grandissant. Aujourd’hui, je dirais Anthony Vaccarello et Olivier Rousteing.

Y a-t-il des périodes charnières qui ont influencé votre style ?

J’ai un peu de mal à répondre à cette question, parce qu’en vérité, je suis inspiré tous les jours. C’est vraiment la rue et les gens qui m’inspirent. Je vais voir des gens très bien habillés et d’autres un peu moins, et je me dis : "Tiens, cette personne, on pourrait lui mettre ça, faire ceci ou cela". C’est ça qui me nourrit chaque jour. Je suis un bon samaritain, j’ai toujours cette compassion d’aider l’autre à être au maximum de son potentiel.

"Un styliste est un peu psychologue, comprendre le talent est essentiel."

Quelles valeurs guident votre travail ?

La liberté ! À 8 ans, j’ai eu un accident de voiture, j’ai failli être amputé de la jambe. J’ai eu le tibia et le péroné broyés, mais je suis un rescapé. Et aujourd’hui, je vis comme si demain n’existait pas. Mon message, c’est la liberté. Il n’y a pas de cadre ni de moment précis. C’est toi qui crées le moment. Même si tu n’as pas de soirée, tu peux t’habiller comme si tu allais au Met Gala. On ne sait jamais ce que demain nous réserve. C’est vraiment cette liberté qui me motive.

Cindy Bruna porte une robe Giambattista Valli au Festival de Cannes en 2022
Mickael Carpin et Cindy Bruna

Lorsque vous collaborez avec des artistes, comment parvenez-vous à équilibrer votre créativité avec leurs attentes et celles des marques ?

Je pense que les stylistes sont un peu psychologues. Il est essentiel de comprendre la personnalité du talent avec qui on travaille pour l'emmener vers une vision, débloquer certaines choses qu’il peut avoir en lui. Que ce soit un Top model, un chanteur ou un acteur, chacun a parfois une histoire qui peut les bloquer. Une fois que tu identifies toutes ces petites nuances chez le talent, tu peux faire des propositions. Mais il faut d’abord passer par un travail de compréhension. Si je ne comprends pas le talent, je ne saurai pas quoi lui apporter…

"Avec Cindy, j’ai toujours voulu gommer l’image stéréotypée qu’on attend d’une mannequin."

Pour ce look de Cindy Bruna, comment avez-vous combiné son élégance naturelle avec des éléments plus modernes ?

Cindy, c’est ma muse. Cela fait 10 ans qu’on travaille ensemble, main dans la main. Elle me fait confiance, et on échange toujours nos visions. Par exemple, pour ce look, j’avais envie de faire quelque chose de grandiose. Avec Cindy, j’ai toujours voulu gommer l’image stéréotypée qu’on attend d’une mannequin. Je suis quelqu’un de très intuitif, et j’ai besoin de cette liberté dans mon travail.

Achraf Hakimi pour L'Officiel

Vous avez aussi travaillé avec le footballeur Achraf Hakimi et l’artiste Precious Lee. Comment avez-vous pensé leur stylisme ?

Ce sont des personnes que j’ai beaucoup croisées. Comme je suis très observateur, je me dis : "Je l’ai déjà vu comme ça, comment puis-je l’emmener ailleurs ?". Par exemple, Hakimi, je l’avais souvent vu avec des vêtements amples, et j’avais envie de lui proposer des tenues plus ajustées. Pour Precious Lee, j’ai cherché à la rendre sexy, tout en respectant son physique et sa signature.

Precious Lee porte un look TLZFEMME

Comment définiriez-vous votre propre signature ?

Je ne fais pas de moodboards, tout est dans ma tête. J’ai des flashs, des visions, et je sais instinctivement ce qui ira à l’autre. Je ne viens pas avec trois valises de propositions, car j’ai déjà fait le tri avant. Mon travail, c’est d’aider l’autre à atteindre son potentiel maximal, pas de me mettre en avant.

"Un vêtement peut avoir plus de force qu’un talent."

Selon vous, quelle est la définition d’un "vrai" styliste ?

Un vrai styliste, c’est quelqu’un qui a une vision. Le vêtement a un pouvoir magique, il peut transformer une personne. Pour moi, la vision est essentielle. Un vêtement peut avoir plus de force qu’un talent, selon comment on le met en scène.

Aujourd'hui, les réseaux sociaux jouent un rôle important. Comment les utilisez-vous dans vos choix stylistiques et vos collaborations ?

Je suis très sélectif et prudent avec ce que je fais. L’argent ne me rend pas heureux, c’est le résultat de mon travail qui compte. Mon Instagram est à la fois personnel et professionnel, mais je cherche toujours à y promouvoir la liberté, qui est liée à mon histoire et à mon accident. Pour moi, il est crucial que mon travail me ressemble.

Mickael Carpin

Quels projets récents ou futurs vous rendent particulièrement fier ?

J’ai travaillé en tant que fashion director pour le magazine Citizen K Sport. Ce projet s’adressait aux sportifs, et au cours des 10 dernières années, j’ai croisé les plus grands sportifs de la planète. J’ai vu des icônes, mais aussi des personnes à qui il manquait quelque chose. J’étais très content d’avoir été appelé pour travailler sur ce projet car j’avais la vision de faire un véritable travail de mode, loin des clichés du sport où l’on rajoute simplement un ballon de foot ou une raquette de tennis. J’ai voulu créer une identité mode forte, même si le magazine est sportif. Cela m’a également permis de travailler avec de jeunes talents émergents, comme le danseur de breakdance Dany Dann, dont j’entends parler depuis longtemps.

Les questions écologiques et éthiques deviennent centrales dans le monde de la mode. Comment ces enjeux influencent-ils vos décisions professionnelles ?

J’adore le vintage, je pense qu’il y a tellement de belles choses qui ont déjà été créées. Il est toujours bon de retourner à la source, de regarder ce qui s’est passé auparavant. L’histoire même des vêtements et des designers est importante. Aujourd’hui, on ne peut plus ignorer ces questions écologiques. Il y a eu beaucoup de gaspillage, et il est essentiel de prendre soin de la planète. C’est notre responsabilité à tous.

"Être à côté des célébrités ne te rend pas célèbre, c’est ton travail qui te donnera de la crédibilité."

Y a-t-il des tendances actuelles que vous soutenez particulièrement, ou au contraire, qui vous choquent ?

Sincèrement, je suis hors tendance. Je pense qu’il vaut mieux créer des tendances plutôt que de les suivre. J’aime aller à contre-courant. Quand on me donne du vert, je vais vers le violet. C’est vraiment mon leitmotiv. Je pense que c’est ce qui a permis à mon travail de se démarquer. Cindy Bruna, par exemple, a été l’une des premières à se présenter comme elle le fait aujourd’hui en France. Les autres sont arrivées après. Mon travail consistait à dépoussiérer ce chic à la française, à redéfinir les codes.

Cindy Bruna porte un look Mônot

Quel conseil donneriez-vous à un jeune styliste qui souhaite se lancer dans cet univers compétitif ?

Humilité et vision. Être à côté des célébrités ne te rend pas célèbre, c’est ton travail qui te donnera de la crédibilité. Notre travail consiste à accompagner et à faire grandir la lumière au-dessus de nos talents, pas autour de nous. Cela demande énormément d’humilité. Être styliste, ce n’est pas seulement apporter des vêtements, c’est bien plus que ça, et c’est là que réside la différence.

Quel héritage souhaitez-vous laisser dans votre domaine ?

J’aimerais que l’on dise que je suis resté fidèle à moi-même, que j’ai travaillé sans compromis et que j’ai apporté un nouveau souffle. Parfois, j’ai l’impression que l’on ne veut pas reconnaître que j’ai amené quelque chose de neuf, peut-être parce que je suis une personne de couleur. Mais je pense que si je n’avais pas dépoussiéré certaines choses, je n’aurais pas eu la carrière que j’ai aujourd’hui. Quand j’ai commencé, on me disait que je ne représentais pas vraiment "le chic à la française". C’est une remarque qui m’a blessé, car je ne me suis jamais défini par une couleur. Je suis avant tout un être humain, et mon travail est simplement dans l’air du temps.

Mickael Carpin et Cindy Bruna

Que faut-il éviter dans la mode ?

Je pense qu’il ne faut pas se dire : "Je vais sortir, rencontrer du monde, et ça va changer ma carrière". Non, il faut travailler. Et parfois, le travail t’empêche de sortir. Quand tu travailles minutieusement, il y a beaucoup de choses que tu ne peux pas faire. Je pense que travailler dur, c’est la clé. Faire un selfie avec une célébrité ne changera pas ta carrière. Quand je travaille avec un talent, je reste concentré sur mon rôle. Même si je croise des stars comme Beyoncé ou Rihanna, je ne quitte pas mon poste. Il faut rester connecté à son travail.

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