INTERVIEW
Publié le
13 février 2023
De Lucien Clergue à Corinne Day, la photographe Louise Meylan cite avec enthousiasme des références qui l’inspirent au quotidien dans son art. Ancienne élève de l’école Penninghen, passée par le studio d’Ezra Petronio et le magazine Self Service, l’artiste s’est aujourd’hui lancée à temps plein dans sa passion pour la photographie. Avide de projets artistiques, la jeune femme collabore avec des magazines et des labels ancrés dans l’époque — Longchamp, Marcia, Yasmine Eslami —, souvent accompagnée de sa sœur jumelle Léa Meylan et de la mannequin Ivanka Smilenko, avec qui elle partage un goût créatif très apprécié.
D’où vient votre passion pour la photographie ?
J’ai toujours baigné un peu dedans car mes deux parents travaillent dans la mode. Depuis petite, j’ai toujours eu un petit appareil et j’adorais documenter les vacances. En sortant du bac, je réfléchissais à une école spécifiquement dédiée à la photographie et ensuite je me suis dirigée vers Penninghen, dédiée à la direction artistique car c’était plus global. J’y ai passé quatre ans et j’ai adoré cette école car elle m’a donné une nouvelle vision, ça a éduqué mon goût et mon œil. C’était assez académique avec des premières années axées sur la peinture, le dessin, tout ce qui est manuel pour aller vers le digital, les dernières années. En 4ème année, en parallèle des projets photos, on devait faire un stage et je l’ai fait chez Ezra Petronio. Il travaille sur toute l’identité image de luxe avec l’agence Petronio Associates et sur Self Service Magazine, qui sort tous les six mois. Mon stage s’est hyper bien passé. Le magazine fêtait ses 25 ans à ce moment-là avec une exposition à Dallas et j’ai travaillé sur une vidéo projetée sur un mur de l’évènement. Ezra m’a proposé de rester en CDI et j’y suis restée trois ans et demi en tant que graphiste et D.A. On a sorti une version digitale du magazine, une "Video Issue", et j’ai beaucoup travaillé sur les montages de ce projet comme une façon de retranscrire le print en digital. C’était comme un film puisque la vidéo dure 1h30 ! Ezra a eu cette idée pendant le Covid et ensuite on a travaillé plusieurs mois dessus.
Je faisais toujours de la photo en vacances, avec ma famille et surtout ma sœur. J’ai rencontré Ivanka Smilenko, par une copine, qui m’a dit : "J’adore tes photos de vacances. Viens, on fait une série ensemble !" J’ai demandé à une amie, Emma Reynaud, fondatrice du label Marcia, de me prêter des robes. Elle a adoré les images et nous a prises pour le shooting suivant. C’est comme cela qu’on a commencé avec Ivanka ! A côté de mon travail chez Ezra Petronio, je faisais souvent un shooting par week-end, je retouchais le soir… C’est excitant mais très prenant ! J’ai quitté mon travail chez Petronio fin juillet 2022 pour me lancer en freelance dans la photographie.
C’est aussi à travers la direction artistique que vous développez votre œil. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce rôle ?
De base, j’imagine des moodboards dans le cadre de la photographie, donc la direction artistique est intimement liée. Dès que je fais un shooting, j’imagine une idée et je veux raconter une histoire. Aussi bien dans un projet personnel qu’un travail pour une marque, je veux créer un univers, trouver l’inspiration, des références qui m’amusent dans des livres de photos ou de vieux magazines comme Harper’s Bazaar ou Vogue.
Comment définiriez-vous votre univers ?
C’est toujours difficile à expliquer ! Pour l’instant, je dirais que mon univers est très féminin, naturel, assez spontané et même sensible. Je veux vraiment retranscrire quelque chose de vrai, comme si c’était une photo volée d’un moment. Souvent, je définis aussi ma ligne directrice en fonction des lieux. J’ai commencé à faire du studio mais jusqu’à présent, mes images sont souvent prises lors de voyages, à la mer, à la campagne et même dans certains lieux de Paris. La nature est assez omniprésente dans mon travail. J’adore mettre des filles dans un lieu et tourner autour de ce lieu. Pareil quand je parle avec une marque, on s’intéresse au lieu et je trouve ensuite des références à cet endroit pour rester dans l’esprit de cet environnement précis.
"Pour l’instant, je dirais que mon univers est très féminin, naturel, assez spontané et même sensible."
L’inspiration vient aussi du travail de certains photographes en particulier ?
J’ai toujours adoré les images de Kate Moss par Corinne Day. Les univers de Hans Feurer, Glen Luchford ou Claude Nori avec des filles photographiées dans des lieux naturels. Évidemment, Helmut Newton, Guy Bourdin, Lucien Clergue… Je me reconnais dans le travail de certains artistes, par exemple, j’adore le travail de Robin Galiegue qui a beaucoup shooté pour le Self Service ou Quentin De Briey. J’aime beaucoup Sophie Calle, il y a quelque chose d’intime dans son travail.
Vous avez travaillé avec plusieurs labels comme Marcia, Longchamp, Yasmine Eslami mais aussi sur des séries pour des magazines, tels que Where is the cool ou Tecknikart Mademoiselle. Comment pensez-vous vos moodboards sur ces types de projets ?
Pour Where is the cool, c’est une série que j’avais faite pendant mes études. Je m’étais beaucoup inspirée du peintre Gérard Schlosser. Le fondateur du magazine, Laurent Laporte, m’a contacté en me disant que ça lui rappelait le travail de cet artiste en question ! Je lui ai dit que c’était justement un hommage à Schlosser ! [Rires] Il m’a proposé une publication et ça s’est fait comme ça. Pour Tecknikart Mademoiselle, le rédacteur en chef, Melchior Riant, m’a laissé totalement libre sur l’idée. J’ai créé une histoire en noir et blanc autour de différentes images prises avec ma sœur Léa.
Avec les marques, il y a une grande confiance. On choisit une idée de mood et on définit les directions. J’ai toujours voulu shooter avec Yasmine Eslami et elle nous a laissées vraiment libre dans la réalisation. Nous avons d’ailleurs fait une série qui n’est pas encore sortie. Souvent, nous proposons un projet de A à Z. Par exemple, Antik Batik nous a envoyé les fringues et on a réalisé des images en Corse en une journée. Pour ce shoot, spécifiquement, on était vraiment en famille : ma sœur, mon copain et moi. Pour Longchamp, c’était une production plus importante pour définir les lignes en amont. Cela dépend des clients et de leurs besoins. En petite équipe, j’aime bien car je peux avoir une relation plus intimiste avec la mannequin, qu’elle soit plus à l’aise mais quand il y a une équipe, j’adore aussi ce travail réalisé ensemble. Ce sont deux façons de travailler très intéressantes.
Vous photographiez souvent votre sœur Léa. Quelle relation partagez-vous dans le travail ?
Léa et moi, nous sommes jumelles donc très fusionnelles. C’est une vraie chance de travailler avec sa sœur au quotidien. Les gens aiment nous voir travailler toutes les deux. Il y a quelque chose de plus facile, je sais comment elle se trouve belle, comment elle veut que le la voie. C’est facile de se diriger, on est libres de s’exprimer, parfois même un peu trop ! [Rires] Mais on peut tout se dire. Si je veux tester un truc délirant, on essaie ! Léa est styliste aussi. Elle assiste l’ancienne rédactrice en chef de Vogue, Emmanuelle Alt, donc elle a aussi son style à elle et sa façon de mettre les fringues. On fait un beau duo car on définit tout ensemble.
"Ce qui est intéressant, c’est le regard d’une femme sur une autre femme. "
Léa et Ivanka sont des mannequins que vous shootez beaucoup… Comment choisissez-vous les femmes avec qui vous collaborez ?
Ivanka a cru en moi sans connaître encore mon travail. On a créé cette équipe ensemble avec Léa et ce sont devenues des muses, oui. C’est pour cela que les gens aiment nous voir travailler ensemble, nous sommes amies et tout est fluide. Quand je choisis les filles, c’est souvent un feeling, ce que dégage la fille mais je suis ouverte à shooter différents profils.
Qu’est-ce que vous vous souhaitez valoriser chez la femme dans vos images ?
Je mets en avant ce côté naturel et vrai. J’ai cette obsession des décors, mais je valorise aussi la féminité, la sensibilité, le caractère et ce qu’elle est. Ce qui est intéressant, c’est le regard d’une femme sur une autre femme. Je comprends sa position, elle le ressent et on veut créer quelque chose de beau ensemble.
D’ailleurs, est-ce difficile de s’imposer en tant que femme dans la photographie ?
Non, je trouve au contraire que les filles sont hyper à l’aise quand c’est une femme derrière l’appareil photo. Ça installe un dialogue un peu différent, je comprends ce qu’elles veulent mettre en avant ou cacher. C’est un peu comme une amie et c’est assez naturel.
Avez-vous des projets ou des rêves photographiques ?
Oui, je parlais de Sophie Calle car j’aimerais poursuivre un projet que j’ai commencé en études et que j’ai laissé un peu en pause. J’avais passé 24h à dresser le portrait de femmes dans mon immeuble. C’était des voisines, donc des gens qu’on ne connaît pas trop en règle générale mais qui sont dans un rapport intime autour de toi. J’étais rentrée chez elles, dans leurs environnements, de façon plus documentaire, c’était comme une performance et ça m’avait beaucoup intéressé de discuter avec elles. Voir l’appartement de quelqu’un, c’est aussi voir la personne qui y vit. J’aimerais reprendre ce projet car il me tient à cœur. A la fin, j’avais fait un livre avec des notes écrites, j’avais inscrit des horaires, il y avait quelque chose de plus expérimental avec des images documentées. J’ai toujours ça au fond de ma tête. Après, je veux faire des projets personnels car il faut continuer à travailler pour soi-même, c’est ce qui donne aussi envie aux gens. Pourquoi ne pas faire une exposition autour d’une thématique, ce serait génial.