ARTS

"Les Anges déchus" ou l’apocalypse selon Anselm Kiefer

Publié le

14 mai 2024

Jusqu’au 21 juillet prochain, l’atmosphère de fin des temps des toiles d’Anselm Kiefer s’invite au Palazzo Strozzi de Florence. Dans l’exposition "Les Anges déchus", le maestro de la peinture eschatologique contemporaine figure l’apocalypse comme un combat entre le doré et l’obscurité. Les 25 toiles du peintre allemand entrent en résonnance philosophique avec l’esthétique baroque et la mémoire des hommes…

“Anselm Kiefer. Angeli caduti”, Palazzo Strozzi, Firenze, 2024. Ela Bialkowska, OKNO Studio ©Anselm Kiefer.

"Chacun se tient seul au cœur du monde/transpercé par un rayon de soleil/et soudain c’est le soir". Les vers du poète italien Salvatore Quasimodo, écrits en 1930, clôturent l’exposition "Les Anges déchus" sur une note particulièrement introspective. Anselm Kiefer invite chaque visiteur à méditer sur son destin, en multipliant les références aux récits fondateurs de l’humanité – qu’ils soient mythologiques, religieux, ou tout simplement, sacrés. Un voyage métaphysique, aux confins de la nuit des temps !

Un combat entre l’obscur et les dorures

Après avoir exposé au célèbre Palais des Doges de Venise en mai 2022, Anselm Kiefer fait entrer son art en relation avec le Palais Strozzi de Florence, l’un de ses édifices préférés au monde, en raison de son architecture minimaliste. Au centre de la cour intérieure, une toile monumentale de plus de 7 mètres sur 8 crée un moment suspendu entre l’architecture de la Renaissance florentine et l’art contemporain. "Engelssturz" ("Chute de l’Ange"), créée spécialement pour l’exposition entre 2022 et 2023, s’inspire du Livre de la Révélation, aussi connu sous le nom de Livre de l’Apocalypse.

Le tableau figure le face à face entre l’archange Saint Michel, et les anges rebelles, bannis des cieux. Ici, le combat entre Dieu et le Mal se joue au sein même de la composition du tableau. En bas de la toile, les strates de couleurs sombres rappellent le bronze de la célèbre sculpture "La Porte de l’Enfer", d’Auguste Rodin. Ils laissent imaginer, par leur relief, une multitude de puissances démoniaques, aussi effrayantes qu’indistinctes. Dans l’exposition "Les Anges déchus", la fin des temps figure en fait comme une sorte de contagion de la feuille d’or resplendissante - qui rappelle l’esthétique de la Renaissance - par des aplats de peintures sombres. De ses épaisses sédimentations de couleurs froides, l’obscurité vient peu à peu ronger le doré. Les tableaux de Kiefer, plongés dans des bains d’électrolyse (un mélange d’eau et de cristaux de soude utilisé pour décaper les métaux), entament une véritable lutte pour leur propre survie, contre les acides.

Anselm Kiefer ©Ela Bialkowska OKNO studio

Les paroles s’envolent, les écrits restent

Les ailes constituent l’un des leitmotivs de l’exposition. L’œuvre "Luzifer" ("Lucifer"), présentée à l’étage du palais, symbolise la violence de la guerre par une aile d’avion imposante, empalée à même une immense toile. Tel un ange de la mort, l’engin a frappé un paysage craquelé, devenu aride et infertile. De vieux bouts de tissus forment des silhouettes pitoyables, engluées dans la peinture aux teintes glaciales…  Chez Kiefer, la fin des temps est ancrée dans l’histoire du XXe siècle : elle porte le nom de Shoah. Les différentes toiles à l’étage expriment parfaitement cette pensée de l’artiste : "Je ne vois aucun paysage sur lequel la guerre n'ait pas laissé sa marque".

Anselm Kiefer ©Ela Bialkowska OKNO studio

Les toiles du peintre allemand portent également en elle de précieux messages, poétiques et théologiques. Lors de son exposition "Pour Paul Celan" au Grand Palais Éphémère (en 2021-2022), le peintre rendait un puissant hommage au poète d’origine roumaine, survivant de l’holocauste. Sur des toiles aux dimensions spectaculaires, les vers se métamorphosaient en inscriptions saintes, au même titre que des références à la Bible et au Talmud. Dans l’exposition du palais Strozzi, une toile toute d’or recouverte rend un vibrant hommage à l’Héliogabale d’Antonin Artaud, et au culte solaire de cet empereur jugé scandaleux. L’art d’Anselm Kiefer invente une théologie, faite de paroles sacrées.

Anselm Kiefer ©Ela Bialkowska OKNO studio

Tous les jeudis, les nocturnes plongent le visiteur dans ce combat mystique entre les massacres et le sacré, mais aussi entre l’obscurité et le doré, qui resplendit d’autant quand la pénombre envahit peu à peu les lieux…  Malgré les désastres, les étoiles brillent toujours un peu.

"Les Anges déchus" par Anselm Kiefer au Palazzo Strozzi de Florence jusqu’au 21 juillet prochain.

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