PHOTOGRAPHIE
Janine Niépce est cette grande photographe qui décide de tourner son objectif vers la vie des femmes. Leurs quotidiens. Leurs combats. Leur émancipation. Jusqu’au 5 janvier 2025, la Cité de l’économie à Paris présente ses clichés avant-gardistes, dans le hall Defrasse, avec l’exposition en trois parties intitulées : "Janine Niépce : regard sur les femmes et le travail".
Le chemin de fer de l’exposition est le travail de Janine Niépce, et celui de toutes les femmes. Comme un témoignage, ces tirages transportent, un à un, auprès de chacune d’entre elles, de 1950 à 1990. Un contre-pied à sa propre époque. "Les hommes avaient l’habitude de photographier les belles femmes, explique la photographe, posant pour des modèles de haute couture, mais rarement en train de faire la lessive". Janine Niépce décide de capturer celles qui sont vues sans être regardées, et qui luttent, tant au sein de leur foyer que dans les rues. Prouesse d’une photographe appartenant au courant humaniste, consœur de Robert Doisneau et Henri Cartier-Bresson. Qui de mieux pour rendre visibles celles qui ne le sont pas, quand elle-même, au sein de sa profession, fut invisibilisée de longues années.
Le 21 avril 1944, le droit de vote des femmes est obtenu. Janine Niépce parle de cette date comme "du plus beau jour de [sa] vie". Inévitablement, elle est auprès d’une de ses concitoyennes, à Paris, dans un bureau de vote du VIIème arrondissement, pour immortaliser le glissement du bulletin dans l’urne. C’est une des premières photographies présentées dans l’exposition, c’est aussi l’une des plus célèbres. Le ton est donné. Elle tirera le portrait de celles qui menaient des luttes qu’on ne voyait pas, à un moment où pourtant, les choses changeaient.
L’exposition présente 40 années de photographies d’une authenticité surprenante tant elle est rare. "Dès qu’elle a commencé à faire des photos, elle s’est intéressée à tous les aspects de la vie des femmes", confie Hélène Jaeger-Defaix, petite-fille de la photographe dans les colonnes de Polka Magazine. Elle s’intéresse aussi à l’aspect politique et judiciaire. 1970, en plein procès au palais de justice de Paris, elle immortalise la combativité et la détermination du regard de Gisèle Halimi. En politique, elle réalise le portrait de Simone Veil. Toutes les femmes sont concernées.
Janine Niépce a photographié celles qui marquent indélébilement leur temps. Au cœur de Citéco, d’autres femmes, et hommes, photographient ces mêmes clichés. Comme pour réactualiser les faits et les espoirs. Aujourd’hui, croiser le regard de ses concitoyennes, c’est aussi avoir peur de les décevoir, et donc, faire le bilan de son monde. "J’aimerais que ces images, qui témoignent de 50 ans de luttes, incitent les jeunes filles à la vigilance", explique la photographe, consciente qu’aucun droit ne serait jamais réellement acquis. Ces tirages vivent depuis de nombreuses années et sont minutieusement transportés de mains en mains avec la peur de les froisser. Paradoxalement, ils illustrent cinquante années de combats, que l’on ne prend pas toujours le soin de respecter. Sa petite-fille faisait part à Polka des inquiétudes de la photographe : "À la moindre occasion il y aura des gens qui surgiront pour affirmer que cela ne sert à rien et qu’il faut retirer les aides". Associés aux enjeux de la société contemporaine, les clichés de celle qui documente en premier les actions du planning familial incitent à la réflexion et à la vigilance. Le regard toujours porté vers l’avenir.
"Janine Niépce : regard sur les femmes et le travail" à la Cité de l'économie (Paris XVIIe) jusqu'au 5 janvier 2025.