INTERVIEW
Publié le
30 juillet 2021
Alexis Michalik, Coco, Maylis De Kerangal ou encore Laurent Ruquier… Il y a du beau monde au micro du jeune Thomas Louis, journaliste et créateur de “La Quille”, podcast culturel qui déroule chaque semaine le tapis rouge à une personnalité du monde de la culture. En digne représentant de sa génération, ce passionné de littérature possède un compte Instagram aux images calibrées, dont le nombre d’abonnés en ferait pâlir d’envie plus d'un. Mais s’il profite de cette influence, c’est pour nous cultiver, s’il vous plaît. A la rentrée, celui qui se considère comme un imposteur publie son premier roman, Les Chiens de Faïence. Entretien.
Influenceur, journaliste, blogueur, écrivain, ce sont là vos titres officiels. Quel est votre parcours ?
Je ne suis pas persuadé d’avoir un parcours atypique ou plus intéressant qu’un autre, mais s’il y a bien une chose que je retiens de ce dernier, c’est qu’avec du recul, il est relativement logique. J’ai toujours su qu’il y aurait quelque chose du côté du langage. Pour être le plus concis possible, après le bac, j’ai fait des études de lettres. Aujourd’hui, à part réfléchir et écrire, je n’ai aucune compétence. Alors fort heureusement pour moi, l’écriture se décline, mais il se trouve que je me suis lancé en indépendant dans ce domaine sans jamais avoir eu envie d’être salarié. Aujourd’hui, j’ai modelé une certaine approche du travail, j’ai créé mes propres supports, et il me semble aussi que c’est la force de ma génération. Pouvoir n’appartenir à aucun milieu professionnel, et malgré tout, pouvoir se donner l’occasion d’y accéder (bien sûr, ça n’est pas valable pour tout, il ne vous aura pas échappé que je ne suis pas chirurgien, typiquement !). Bien sûr aussi, il a fallu travailler, ne pas se décourager, accepter des piges pas toujours stimulantes, mais il me semble que tout ceci fait également partie intégrante de mon parcours et qu’aujourd’hui, je suis tout à fait satisfait de ce que je fais. Et publier un premier roman est aujourd’hui la consécration absolue pour moi, avec, toujours (et pour toujours), ce syndrome de l’imposteur qui me colle aux semelles malgré tout !
J’ai vraiment conçu “La Quille” comme un territoire d’entraînement journalistique pour moi qui suis assez “pataud” et “suiveur” dans la vie
Vous vous définissez comme un transfuge, à l’instar d’un certain Edouard Louis… Louis, c’est votre vrai nom de famille ?
En effet, c’est un terme qui est devenu très utilisé, mais il ne représente rien d’autre qu’une trajectoire largement partagée en France. En ce qui me concerne, je n’ai évidemment aucune parole oraculaire à donner (et je ne veux surtout pas en donner par ailleurs !), et il me semble que la majeure partie de ce que j’avais envie d’en dire se trouve dans Les Chiens de faïence. Et oui, « Louis » est mon vrai nom de famille. Pour ceux et celles qui connaissent le parcours d’Édouard Louis, il semble assez évident que nous n’avons aucun lien familial !
Vous avez 57 000 abonnés, votre podcast La Quille, plus de 20 000… Journaliste et influenceur, en quoi est-ce compatible ?
Je ne mets pas vraiment en lien mes réseaux sociaux et mon métier, pour la simple et bonne raison qu’ils n’ont pas grand-chose à voir. La Quille est une activité qui ne me rémunère pas, et tous les articles que j’écris à côté ne bénéficient d’aucune « promo » de ma part sur mes réseaux sociaux. J’ai souvent tendance à dire « qu’il se trouve » que j’ai beaucoup d’abonné(e)s sur Instagram, mais je ne m’en sers pas vraiment. Disons que seul le chiffre me confère désormais ce statut d’influenceur. Je communique bien évidemment sur la sortie de mon livre ou sur les épisodes de La Quille quand ils sortent, car ça serait idiot de ne pas le faire, mais pour ce qui est de mon métier de journaliste « écrivant », la frontière n’est pas si poreuse, je ne vois pas comment les deux pourraient s’imbriquer avec pertinence. En ce qui concerne le compte Instagram de La Quille, il faudrait demander aux gens la raison pour laquelle ils me suivent, car ça reste un petit mystère !
Vous écrivez en tant que journaliste et vous allez publier un livre. Pourquoi avoir choisi de prendre part à la révolution du podcast ?
C’est une excellente question, à laquelle je n’ai moi-même pas de réponse. Ou plutôt, j’ai des bribes de réponse. C’est probablement une espèce de “force de vivre” proche de l’inconscience, car si j’ai souvent rêvé de radio quand j’étais adolescent, j’ai vite réalisé que je n’étais pas aussi bon que j’aurais pu le penser devant un micro. Et de fait, même si le podcast diffère sur certains points d’une émission de radio, je ne me sens pas moi-même le plus à l’aise à l’oral. Je suis bien plus à l’aise à l’écrit. Dans le cadre d’un entretien, je serai probablement plus hardi et plus pertinent en face à face avec un(e) invité(e), hors micro, à retranscrire ce qu’il ou elle me dit, plutôt que de devoir rebondir sur chacun de ses propos avec le plus de naturel possible, dans une sorte de mise en scène. J’imagine que j’ai créé ce podcast parce qu’il s’agissait d’un support relativement neuf pour moi, qui me permettait de toucher du doigt les personnes que j’admirais, en plus de me forcer à sortir de ma zone de confort. Et de fait, j’en suis bien sorti à certains moments !
Vous a-t-on déjà comparé à Augustin Trapenard ?
Plusieurs fois oui, mais c’est à nuancer ! Malgré le fait que l’on anime tous les deux des entretiens culturels, il semble évident que davantage de points nous distinguent, à commencer par le support, et… l’expérience ! J’ai vraiment conçu La Quille comme un territoire d’entraînement journalistique pour moi qui suis assez « pataud » et « suiveur » dans la vie (et on peut le voir encore dans mes interviews !). Et il me semble qu’on ne peut pas vraiment parler de « pataud » en ce qui concerne Augustin Trapenard !
Quel a été votre invité préféré et pourquoi ?
Sans langue de bois, j’hésite beaucoup. Il y en a eu des drôles, des détendus, des importants, des inattendus, et tous se complètent plus ou moins. Par exemple, il y a quelques semaines, j’ai interviewé l’écrivaine Susie Morgenstern à qui j’ai posé une question assez périlleuse, mais que je sentais « posable » ; et elle a commencé à avoir les yeux humides en me répondant. C’était tout à fait déstabilisant pour moi, car c’était la première fois que je comprenais que, chez une invitée, je pouvais déclencher une émotion avec une question. À la fin de l’entretien, elle m’a dit que je lui avais posé des bonnes questions, dont certaines qu’on ne lui avait jamais posé, et je dois dire que mon ego de débutant a également été assez satisfait, ce qui participe au bon souvenir. Mais au-delà de ça, dans cet entretien, il y a eu à la fois des larmes, des rires, de la complicité, et une joie de sa part d’être là que je ressentais vraiment. Ça m’a touché. Je pourrais également vous citer des grands noms de mon Panthéon personnel (notamment littéraire) que j’étais particulièrement fier de recevoir sur le moment, comme Marie-Hélène Lafon, Maylis de Kerangal, Anne Serre, ou Sorj Chalandon. J’en oublie, bien sûr, que personne ne se vexe !
Il me semble qu’à chaque fois que je suis sorti d’un entretien rasséréné, fier ou ému, ça n’était pas avec ceux et celles que j’avais imaginé.
L’invité ultime selon vous ?
On me l’a beaucoup demandé, et j’ai longtemps dit Fanny Ardant, pour une raison obscure (probablement pour répondre quelque chose et parce que Vivement dimanche ! de François Truffaut m’a beaucoup marqué), mais si je réfléchis mieux, je dirais que je ne suis pas persuadé d’avoir envie de recevoir quelqu’un en particulier. Il me semble qu’à chaque fois que je suis sorti d’un entretien rasséréné, fier ou ému, ça n’était pas avec ceux et celles que j’avais imaginé. En partant de ce présupposé, je dirais que l’invité ultime, c’est d’abord l’invité qui m’aura sorti de mes questions très naturellement, avec qui la cordialité devient de l’ordre de la complicité au fil de l’entretien, et qui ne s’écoute pas répondre. Il me semble qu’avec ces trois ingrédients, on détient le trio gagnant pour un entretien pertinent.
Dans un autre podcast culturel, vous avez raconté votre admiration pour Beckett. Pourquoi l’absurde vous séduit tant ?
Je ne sais pas s’il me séduit, mais il m’a beaucoup questionné lorsque je l’ai découvert. Parce que j’y voyais moins de l’absurde qu’une manière de concevoir le langage et une présentation au monde qui me parlait beaucoup. Je l’ai découvert au lycée avec Fin de partie, dans le cadre des livres imposés pour le bac. Beckett est alors très vite devenu un support, un modèle, et même un réconfort. Aujourd’hui, son portrait est encadré dans ma cuisine, comme un vieil oncle qui m’observe de loin faire couler mon café et préparer des quiches !
Vous avez également confié avoir un comportement particulier : lire et regarder la pièce en même temps pour voir si les didascalies sont respectées… Entre nous, quels sont vont véritables tocs ?
Je me dédouane d’emblée : c’est surtout quelque chose de ludique pour moi, que personne ne croit que je vais m’agacer si une didascalie n’est pas respectée ! Arriver dix minutes en avance aux rendez-vous pour pouvoir fumer une cigarette en bas de l’immeuble ou devant le restaurant, ça compte comme un toc ? Fumer une cigarette au téléphone pour me donner une contenance, ça compte ? Je crois bien que ce sont davantage des vices, mais je n’ai que ça sous la main, navré !
A quelle lecture revenez-vous sans cesse ?
La presse ! J’adore acheter le journal, j’adore acheter des magazines, pour plusieurs raisons. La première, c’est que je les associe à des moments que j’aime : celui où on s’apprête à prendre un train au Relay de la gare, le matin en allant boire un café dans son quartier, etc. (ce qui est déjà une bonne raison !). La deuxième, c’est que la presse papier et tous ses acteurs ont évidemment encore besoin de nous. Et la troisième, c’est qu’il me semble que lire un magazine, c’est aussi lire un monde, avec ses photographies, ses publicités ciblées, ses dossiers placés à un endroit plutôt qu’à un autre. C’est pénétrer l’âme d’une rédaction, qui tente de nous faire parvenir un condensé de l’actualité (ou non) le plus synthétiquement possible (ou non), en essayant de le faire sans jamais rien laisser au hasard de l’objet-papier. C’est amusant, pour moi, de voir une machine tourner essayant de rester en ligne droite. Et sinon, plus simplement, je reviens très souvent aux bandes dessinées, notamment la BD Jojo, dont j’ai récemment acheté tous les tomes perdus dans je ne sais quel déménagement, qui sont l’incarnation pure et simple de la nostalgie des mercredis à la bibliothèque du village quand j’étais enfant.
J’ai eu l’impression que mon éditrice venait de me retirer quelque chose de pesant qui stagnait en moi depuis des années, qui est probablement aussi lié à quelque chose de social
Vous venez d’écrire un livre, Les Chiens de faïence, qui sort le 26 août aux éditions de La Martinière, de quoi parle-t-il ?
C’est d’abord l’histoire d’une famille, la famille Dugast. Une famille de classe moyenne, qui vit dans un petit hameau qui se compose lui-même de trois maisons : d’un côté, les grands-parents maternels, de l’autre côté, les grands-parents paternels, et au milieu, les parents, et leurs deux enfants : Emma, et l’aîné, Christophe, sur qui le récit va se concentrer. Et les Dugast ont une petite spécialité : chaque membre de la famille se suicide un par un, vraisemblablement selon un critère premier : l’âge. Tout ceci se met en place dans un certain silence collectif, qui semble souder le clan familial. De ces morts, personne ne parle, pas même à soi-même, alors que l’étau se resserre sur chacun d’entre eux. Au fur et à mesure, au village, on commence à se demander s’il ne s’agirait pas, en toute logique, d’une malédiction de la mort. Et au fur et à mesure que l’on se demande ça, Christophe, le fils aîné, voit son heure approcher, et commence à se demander s’il ne faudrait pas fuir, quitter cette famille, pour briser la malédiction en espérant que la mort l’épargnera. Je ne vous révèle évidemment pas la suite de l’histoire, mais les questions que Les Chiens de faïence pose, en creux, ce sont des questions qui m’ont porté depuis une bonne dizaine d’années maintenant ; notamment une question principale : « faut-il oublier son passé/sa famille pour se construire un avenir ? ». Et pour la petite anecdote, je ne l’ai réalisé qu’après l’écriture de ce roman, mais il s’avère que cette même question était quasiment mot pour mot mon sujet au bac de philosophie, qui était le sujet dont j’aurais pu rêver si on m’avait demandé moi-même de l’écrire à cette époque. Avec du recul, il ne me semble donc pas totalement illogique que mon premier roman soit celui-ci, notamment parce qu’au-delà de cette histoire de suicides en cascade qui représente parfaitement ce « décollement » du réel que j’aime écrire (cette trame qui est possible, mais complètement improbable dans l’absolu), il y a également des vignettes autobiographiques qui gravitent autour de cette histoire. Pas nécessairement l’histoire (typiquement, ma famille ne s’est pas suicidé à la chaîne !), mais des décors, des ambiances, des moments, qui m’ont permis de nourrir et d’incarner cette fiction.
Ça fait quel effet d’être publié en tant que romancier ?
Sans mauvais jeu de mot en ce moment, l’effet d’une vaccination, d’une validation, et d’un vrai, sincère, puissant, étonnement. Je suis très pudique, et je ne l’ai pas réellement montré, mais j’ai eu l’impression que mon éditrice venait de me retirer quelque chose de pesant qui stagnait en moi depuis des années, qui est probablement aussi lié à quelque chose de social. Publier des livres, c’est très symbolique ! Aussi, malgré ce satané syndrome de l’imposteur permanent, j’ai eu l’impression que la ténacité et les efforts payaient, et surtout, qu’ils n’étaient pas jetés dans les airs sans endroit où retomber. Il a juste fallu du travail, ce qui me semble plus que normal en ce qui me concerne.
Avez-vous toujours rêvé d’être écrivain ?
Toujours, non, même si pour moi, une vie d’écrivain a toujours été une vie qui avait du sens. J’ai toujours su qu’il y aurait quelque chose du côté du langage, d’où, précisément, mon métier de journaliste également. Mais dès que j’ai compris et assimilé la notion de vocation, j’ai aussi compris (pensé comprendre ?) qu’être écrivain ne pouvait pas être une fin en soi pour moi. J’ai donc évidemment toujours gardé l’idée en tête, tout en sachant pertinemment que ça n’arrivait qu’aux autres. J’e n’ai donc jamais été sûr que je réussirai à le devenir, mais c'est quelque chose qui a toujours été omniprésent, et que j'ai empoigné de manière très soigneuse, que j'ai toujours pris avec le plus de sérieux possible, même en qualité d'aspirant. C'est-à-dire que j'écrivais des livres non pas en imaginant qu’ils seraient publiés (au contraire !), mais en sachant pertinemment que j'en écrirais un juste après, et qu'il permettrait également de nourrir une pratique, et de me tracer un petit journal de bord au fil des années, de ce que j’étais. J’ai envoyé mon premier manuscrit à 18 ans ; après, il y a eu un ventre mou. Depuis quelques années, j’ai repris du service, sans jamais me décourager, et c’est probablement ma clé ! Aujourd’hui, j’ai une pratique très fournie de l’écriture, un manuscrit en appelle souvent un autre. Comme un loisir, mais aussi comme un travail, une pratique. En tout cas, pas comme un manuscrit qui doit absolument terminer en livre. Et puis quelquefois, lorsqu’un manuscrit me semblait plus important qu’un autre (mais aussi plus « publiable »), je me disais que ça valait peut-être le coup de l’envoyer. Et puis il y a eu ce jour, où j’ai compris que ça n’arrive pas qu’aux autres, tout en me demandant : pourquoi moi ?
Quels sont vos projets ?
J’écris des nouvelles, des romans, du théâtre, de la très mauvaise poésie, je publie occasionnellement des petits textes dans des revues, alors peut-être faire quelque chose avec tout ça, maintenant que la porte s’est ouverte ? J’adorerais en parallèle publier du théâtre ou des nouvelles, typiquement. En outre, j’ai longtemps voulu créer un magazine lorsque j’étais enfant (que je confectionnais de façon ridicule - mais très attendrissante - avec de la colle, des feutres et du papier), alors je me dis que l’idée de lancer une revue pourrait être une perspective dans un futur plus ou moins lointain ; si ma « carrière » de romancier ne dure pas, par exemple ?