ARTS
Publié le
3 juin 2021
La Bourse de Commerce a enfin ouvert ses portes pour dévoiler le manifeste des œuvres de la collection Pinault. Une “Ouverture” exclusive, c’est là le nom de cette exposition, qui invite à découvrir pour la première fois en France, l’artiste américain David Hammons à travers une trentaine de productions.
C’est dans une galerie courbe en double-hauteur habillée d’un blanc éclatant du sol au plafond que les œuvres de David Hammons sont présentées pour la première fois à Paris. Un contraste fort et percutant entre cette salle immaculée, inondée de lumière et les productions “pauvres” constituées de pièces abandonnées, récupérées et transformées de l’artiste afro-américain. Voilà l’impression qui se dégage de cette toute première rencontre avec l’art de David Hammons, mis à l’honneur par la collection Pinault dans une Bourse de Commerce flambant neuve.
Le bâtiment, lieu emblématique du patrimoine parisien, a été converti en musée par l'architecte japonais virtuose du béton, Tadao Ando, qui a créé dans cet espace un pont dans l’Histoire. C’est ce dialogue entre passé et présent qui insuffle à la Bourse de Commerce une nouvelle vie afin d’accueillir les œuvres du collectionneur François Pinault pour cette première exposition. L’Ouverture d’un nouveau musée, certes, mais aussi l’ouverture sur “une collection qui mise sur la diversité.[...] Des œuvres ancrées dans des dimensions raciales, post coloniales, de genres, d’identités, sociale, politique. L’art n’est pas une réalité fermée sur elle-même, c’est une réalité ouverte sur la vie”, avait dit Martin Bethenod, directeur général délégué du musée, pour Arte le soir de son inauguration. C’est cette diversité que l’on retrouve dans ces galeries aux œuvres en tout genre. L’ensemble, choisi avec soin par le regard du collectionneur passionné, montre l’art de 1960 à nos jours et pousse à saisir notre époque par le biais d’artistes du monde entier tels que Urs Fischer, Kerry James Marshall ou encore David Hammons en avant-première à Paris.
Exposer un corpus aussi unique des œuvres de Hammons, encore jamais présenté comme il se doit en Europe, c’est lui donner une nouvelle fois le titre d’artiste majeur de notre temps. Né en 1943 dans l’Illinois, David Hammons développe depuis les années1970 un art subversif inspiré de la réalité quotidienne des Afro-Américains qui est aussi la sienne, celle du racisme ordinaire. C’est à New York, que l’artiste s’installe en 1975 dans le quartier de Harlem, foyer d’une création traversée par les engagements et les luttes sociales. Ancré dans le Black Art Mouvement, David Hammons amorce une nouvelle esthétique incorporant art occidental et influences des racines africaines propre à la culture et à l’histoire afro-américaine. “C’est ce que le jazz nous a appris. Mon peuple a pris ces instruments européens, et en soufflant leur respiration dedans, ils y ont insufflé la misère et la folie de notre expérience” avait déclaré Hammons dans l’un de ses rares entretiens à l’historienne de l’art Kellie Jones en 1986. Inspiré par l’Arte povera, Hammons assemble et transforme en sculptures saisissantes les objets délaissés qu’il grappille lors de ses expéditions urbaines. “Je dois passer 85% de mon temps dans la rue. Le reste du temps, quand je vais dans mon atelier, je veux pouvoir régurgiter ce que je vois dans la rue. Le spectacle social auquel j’assiste – les conditions sociales du racisme– ressort comme de la sueur”, peut-on lire dans le communiqué de presse de l’exposition. Une bannière étoilée lacérée arbore les couleurs du drapeau panafricain, un cerceau métallique devient un panier de basket orné de chandelles… Ces assemblages qui font figures de protestations politiques acquièrent aujourd’hui une profondeur nouvelle. À l’heure où les violences policières alimentées par un racisme systématique envers les Noirs ont connu en 2020 une explosion et une opposition inégalées depuis le mouvement des droits civiques, l'œuvre de David Hammons semble plus que jamais essentielle.
La galerie dédiée à Hammons regroupe une trentaine de ses œuvres s’étalant des années 1960 à nos jours, allant de ses productions sur papier à des installations plus récentes. L’accrochage se conclut par une installation inédite dans la salle des pas-perdus où le décor original restauré et l'œuvre se répondent non sans une certaine tension. Minimum Security (2007), cage en métal de la taille d’une cellule, est placée devant la carte du monde de la fin du 19ème siècle sillonnée par les routes du commerce, période de l’expansionnisme colonial de l’Occident. Plusieurs siècles séparent la bâtisse de la Bourse de Commerce des œuvres contemporaines qui la peuplent désormais. Pourtant, il existe entre les deux un lien affranchi du temps qui laisse place à un dialogue sur la condition humaine, la révolte et la liberté, la mort et la beauté de l’éphémère. La Bourse de Commerce-Pinault Collection promet d’ores et déjà d’ouvrir de nouveaux horizons en plein cœur de Paris.
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