INTERVIEW

Hanna Ladoul et Marco La Via : "Martin Scorsese nous faisait des retours très précis, c'est quelqu’un de juste et respectueux."

Publié le

13 mars 2024

Le cinéma, c’est l’art de raconter une histoire. Mettre en image des émotions. Faire vivre des personnages. Et, surtout, réussir à emporter le spectateur jusqu’au cœur. S’ajoute un défi d’aujourd’hui, qui semble être, d’intriguer suffisamment le public pour qu’il se déplace dans les salles obscures. Du blockbuster au film indépendant, chacun est dans la même galère à vouloir toucher l’horizon. Si certains parient sur une bonne communication, d’autres misent sur une direction artistique unique… Marco La Via et Hanna Ladoul mettent l’accent sur l’humain. Une audace que Martin Scorsese saluera, en devenant le producteur exécutif de leur deuxième film Au fil des saisons. Et, pour ne pas faire dans le grandiose, c’est Catherine Deneuve qui jouera le rôle principal. On a ici le cinéma en personne qui vient soutenir le couple de réalisateurs dans le murmure d’une vérité inconsciente. Un souffle aussi simple que la vie qui naît, et celle qui manque de disparaître. Une brise froide de l’hiver qui se réchauffe à mesure du temps qui passe. Une réalité qui se lève face au cliché qui s’allonge. Celle que le bonheur est possible. La caméra amoureuse du duo propose un "petit film", dont la grandeur tient en ce qu’il raconte tout à chacun. Le cinéma n’est pas l’art de fantasmer des mondes et des vies ; c’est l’art de montrer notre monde et nos vies. Au fil des saisons nous rappelle que nous sommes les héros ordinaires de notre scénario… Plus encore… Nous sommes les hommes héroïques de nos scenarii.

Marco La Via et Hanna Ladoul ©Gregoire Bernardi

Votre film est un feel good movie de par son scénario et son imagerie. Comment avez-vous travaillé l’esthétique pour le rendre ainsi ?

Hanna Ladoul: Au départ, nous voulions raconter un conte. On a, effectivement, travaillé la lumière en conséquence. Nous ne sommes pas dans un réalisme au niveau de notre image. Nous voulions créer un cocon avec des couleurs chaudes et douces. Par-là, nous cherchions à ne pas ancrer notre film dans une société ou un temps bien défini.

Marco La Via : Notre travail de l’image a pour but de montrer des héros de tous les jours, et pas des stars. Ce qui se traduit par une lumière qui n’est pas « baveuse », et dans laquelle on voit véritablement bien les visages.

C’est difficile de proposer un film qui prend son temps au cinéma ?

Marco : C’est un entre-deux effectivement difficile. Ce n’est pas le type de film attendu, comme un blockbuster, qui est vraiment là pour le divertissement. Et, ça n’est pas non plus un film indépendant, très "auteuriste", qui est trop sérieux, peut-être. C’est ce qu’on cherchait avec cette réalisation.

Hanna : Nous voulions et nous sommes vraiment un "petit film".

Vous vivez aux États-Unis et êtes très inspirés de son cinéma. Mais vous êtes d’abord français, imprégnés aussi du cinéma hexagonal. Avec votre film, vous aviez l’intention de faire rencontrer l’un et l’autre ?

Hanna : C’est difficile pour moi de répondre à ta question, parce que je ne pense pas que nous cherchions un équilibre. Je ne pense pas qu’il y a un du cinéma américain et un cinéma français ; ça limite trop les choses. Nous voulions juste faire ce qui nous plaît, et proposer un film dont nous serions fiers.

Marco : Je pense qu’on est aussi nourris de ce qu’on a vu. Par exemple, nous sommes très inspirés par le cinéma de Ingmar Bergman, le film Good Bye, Lenin! nous a beaucoup inspiré aussi. L’œuvre de Joachim Trier nous a influencé dans la mise en scène, par exemple. On ne se limite pas à des genres ou des courants ; nous sommes allés chercher ce qui faisait sens tout simplement.

"Martin Scorsese est quelqu’un de juste et respectueux. […] Il nous faisait des retours très précis ; et ainsi de suite, nous travaillions tout au long des différentes versions."

Martin Scorsese est producteur artistique de votre film. Comment s’est faite cette connexion ?

Marco : C’était vraiment hallucinant pour nous ! Aujourd’hui encore, on se demande parfois pourquoi il a été si intéressé par notre film. [Rires général]

Hanna : Oui, c’est vrai que c’était assez fou de vivre ça. Mais pour répondre à ta question ; il s’avère qu’il est fasciné par la relation mère-fille. L’une de nos productrices lui a envoyé le scénario, et il a été véritablement séduit par notre histoire, en particulier sur ce dernier aspect.

Comment on échange avec cette légende du cinéma ?

Hanna : Officiellement il est producteur exécutif ; mais il agissait comme producteur artistique.

Marco : Il nous a fait des retours sur le scénario, qui nous a permis d’aboutir à la version définitive avant le tournage. Ensuite, pendant le montage, nous avons fait des zooms régulièrement pour en parler. Au moindre changement, même le plus infime, il regardait, à chaque fois, tout le film en entier. Pour toujours voir les évolutions dans le détail, et dans l’ensemble. Ensuite, il nous faisait des retours très précis ; et ainsi de suite, nous travaillions tout au long des différentes versions.

Hanna : C’est quelqu’un de tellement passionné ! Les zooms étaient assez longs ! [Rires] Mais plus que ça, il est juste et respectueux. Il n’essayait pas de nous dire comment faire les choses. Au contraire, c’est quelqu’un qui veut vraiment comprendre ta vision et tes intentions pour t’aider à en tirer le meilleur possible.

"On a écrit le film pour Catherine Deneuve. Elle incarne parfaitement le personnage de Solange. C’est ‘la reine de France’ pour nous !"

Catherine Deneuve était l’actrice que vous aviez en tête quand vous écriviez le scénario. Pourquoi elle en particulier ?

Hanna : Oui complétement, on a écrit le film pour elle. Parce que Catherine Deneuve incarne parfaitement le personnage de Solange. C’est "la reine de France" pour nous !

Comment on tourne avec cette icône du cinéma ?

Marco : En réalité, c’est très simple et agréable de travailler avec elle. Tous les acteurs, et plus encore une grande actrice comme elle, apprécie et demande à être véritablement dirigée. Pour qu’elle puisse avoir une idée précise et détaillée de la scène, de ce que nous attendions d’elle et des intentions que nous avions ; pour ensuite travailler et répondre à la demande au plus proche de ce qu’elle devait produire.

Morgan Saylor, Hanna Ladoul et Marco La Via ©David Koskas

Deneuve a ce potentiel humoristique, peut-être moins connu du grand public, qu’on voit dans votre film…

Marco : Nous trouvons aussi qu’elle a complètement cette qualité là ; d’un humour un peu "pince-sans-rire". C’est sans doute ça qui l’a intéressé dans ce rôle, parce que ce n’est pas une image que le grand public peut avoir d’elle.

Hanna : Oui complètement, c’est un peu à contre-courant de ce qu’on peut connaître d’elle. Elle aime réellement jouer comme ça. Il n’y a pas eu tellement à travailler ça, parce qu’elle l’a naturellement. C’est parce que nous avions la certitude qu’elle avait ce trait de caractère qu’on a écrit ce film pour elle.

Marco : Et puis, elle arrive aussi à un temps de sa carrière où elle a envie de jouer des rôles et des œuvres plus "légères" ; parce que ça fait du bien, tout simplement. Mais avec le même sérieux !

Des anecdotes drôles avec Catherine Deneuve sur le tournage ?

Hanna : Franchement, c’était assez sérieux en réalité sur le tournage. Mais, il faut avouer que c’est elle qui était le plus à l’aise avec les poules ! [Rires]

"Nous voulions trois féministes, trois femmes et trois féminités différentes. Sans prendre position et sans induire un choix chez le spectateur."

Avec votre réalisation, vous abordez le féminisme. Ce qui est intéressant c’est que personne n’a raison, et personne n’a tort. Pourquoi ce parti pris ?

Marco : C’est exactement le parti pris qu’on avait ! Nous voulions trois féministes, trois femmes et trois féminités différentes. Sans prendre position et sans induire un choix chez le spectateur. Dans notre film, ce sont les personnages qui vont se juger au départ, et petit à petit comprendre l’autre pour finalement se respecter et accepter que personne n’a raison et personne n’a tort… Parce que ça n’est pas le but, en fait ! Chacune vit ça à sa façon et laisse la place à l’autre de faire de même.

C’est quoi la féminité pour vous ?

Marco : Je ne sais pas pourquoi, mais depuis quelques temps le terme de "féministe" est devenu presque controversé. Pour des raisons bizarres, on entend : "Je ne suis pas féministe, c’est trop extrémiste ; je suis juste pour l’égalité homme-femme". Nous ne voulions pas appuyer ce genre de remarques à travers nos portraits. Le personnage de Solange est clairement féministe, elle se revendique complètement de cet héritage. A l’inverse, Charlie et Laura ne s’affirment pas ainsi ; car elles ne sont pas issues des mêmes générations. Elles sont des femmes qui vivent leurs féminités comme elles peuvent, avec la maladie ; et elles le sentent, avec un quotidien qu’on ne choisit pas toujours. Mais, par leurs choix et leurs actes, elles deviennent de vraies figures du féminisme.

Catherine Deneuve, Hanna Ladoul et Marco La Via ©David Koskas

Comment esquive-t-on les clichés ou les raccourcis sur ce sujet quand on réalise ?

Hanna : Je pense qu’il faut connaître tes personnages, et qu’il faut que tu les caractérises d’une façon la plus précise possible. Il ne faut pas vouloir rendre le tout trop lisse, mais au contraire donner un vrai caractère et une identité minutieuse aux personnages.

Marco : C’est aussi en évitant de trop se concentrer sur les sujets que tu abordes avec ton film. Les thèmes doivent rester en toile de fond, pour laisser la place aux personnages. C’est eux qui donnent vie à ce que tu racontes par leurs émotions, leurs interactions. Ça rend alors ton histoire crédible et humaine.

"Chacun connaît sa propre clé du bonheur. Parce qu’on trouve l’équilibre pas toujours là où on veut, mais là où on peut aussi."

Votre réalisation est une histoire universelle, jusqu’à quel point est-elle liée à vous ? Comment on maintient la distance pour rester dans la fiction et laisser la place aux spectateurs ?

Hanna : Cette histoire peut effectivement parler à tout le monde. Parce que, chacun vit et a vécu des problèmes de familles, de génération, d’oppositions avec ses parents, ses frères et sœurs. Le Covid a sans doute accentué l’attention du public à ce sujet.

Marco : Après, tu n’as pas tort, parce que nous avons grandi tous les deux auprès de femmes fortes. Cette part est indéniablement liée à nous. Pour autant, l’histoire complète et les personnages ne sont pas des éléments que nous avons puisés autour de nous. L’ensemble reste de la fiction et laisse toute la place aux spectateurs pour s’emparer et vivre à sa façon le film qu’on propose.

Le secret du bonheur, c’est de vivre au fil des saisons ?

Marco : Je pense que le temps passé ensemble ne fait jamais de mal, personnellement.

Hanna : C’est certain ! Après, nous ne voulons pas être moralisateur. Ça paraît facile de le dire, mais c’est vrai, chacun connaît sa propre clé du bonheur. Parce qu’on trouve l’équilibre pas toujours là où on veut, mais là où on peut aussi.

"Au fil des saisons", d’Hanna Ladoul et Marco La Via, produit par Martin Scorsese.

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